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TRAVERSE VIDÉO ET LE CANADA

         Plus couleur locale mais sans désir taxinomique, des arbres ligneux abritent une chouette aux yeux petits et
      marqués; l’oiseau se multiplie dardant ce regard. Son groupe protège le domaine, en occupant à plusieurs chacun
      des troncs, et il ulule alors que des silhouettes humaines naissent multiples de ces bois, avant, en un ordre inversé,
      de se réduire à une figure, en synecdoque de la naissance de l’homme des bois inhérent à la culture canadienne.
      L’original dont l’ombre est plus fidèle ne fait que passer comme indice local. L’ours blanc qui se mire dans l’eau, ou
      son homologue qui tire, à deux occurrences, la corde d’une cloche, refusent le modèle canonique; le second se lance
      souplement dans une danse urbaine, le premier est un nouveau Narcisse qui se mire tant dans le petit lac qu’il s’y
      noie en laissant la fleur éponyme fleurir sur son bord.
      Le réalisme n’est jamais de règle, encore moins quand, de ce point d’eau, surgit pour disparaître aussitôt, une ba-
      leine ou qu’agrandie par le premier plan, une grenouille du temps grimpe à l’échelle météorologique; ce lieu s’exclut
      de telles obligations et circonstances spatio-temporelles. Cette vie a quitté les livres et les légendes dites, pour un
      monde paisible et allègre à la fois
      Les chauves-souris ont beau voler en nombre et en ombre, elles ne brisent pas l’atmosphère. Pas plus que le Sas-
      quatch / géant velu ne cristallise de peur, avec sa grosse denture et son immensité qui déborde les arbres mais sa
      face naïve…

                           Quant à la clausule musicale en chœur de voix masculines - celui du Comedian Harmonic - entonnant
      In einem kühlen Grunde, elle ne se comprend pas comme une plainte, que les paroles en allemand nous échappent ou
      soient comprises; car les chanteurs, petits sapins verts - par définition - juchés tout au long de la crête des montagnes,
      ouvrant à plein élan leur bouche à une seule dent, nous garantissent que l’on peut, sans réticences, se laisser aller au plaisir
      et que la douleur de l’amour disparu s’efface dans la forêt de l’enfance.

                  La Forêt n’est, cependant, pas sans propos. Elle porte la preuve que la forme induit le sens et les sens
    et qu’on ne les distingue pas. Nourrie par de semblables voire d’identiques figures des mythes et des légendes que
    The Enchanted Woods d’Allison Moore *, elle provoque une toute autre excursion dans les bois. Leur « il était une fois »
    n’ouvre pas les mêmes clairières.

                  La Forêt de Diane Obomsawin est le bonheur gagné des cultures multiples, elle est la compréhension du
    même projet des contes en variations du dire. Elle est la confiance en l’animation de fonder son monde, sa propre logique,
    son espace - temps. La preuve que le cinéma forge sa langue spécifique en puisant aux grands ancêtres du récit oral et
    littéraire.

                                                                                  Simone DOMPEYRE

                                                  * Cf. Contes et légendes dans le bois d’Allison, P 118 : INSTALLATIONS

    Cheryl PAGUREK, GIV, Bodies of Water, 7min 22

                  Bodies of Water : rarement la métaphore de la poésie pour une œuvre vidéo n’est si près de la syno-
    nymie, du moins si on entend en poésie, un art qui réveille les mots usés tout aussi érodés par l’emploi répétitif que
    l’on en fait, que des cailloux sous l’eau. Un art qui réveille le signifiant et ranime la perception. Un art qui fait de la
    langue, une parole.

                  La langue serait la vidéo qui peut former des phrases par le montage de ces plans; elle peut créer des
    saynètes de la vie quotidienne, pour informer, documenter et attendrir, révolter et/ou mêler ces visées.

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