Page 63 - catalogue_2015
P. 63
TRAVERSE VIDÉO ET LE CANADA
Elle peut aussi ne pas chercher la communication, lorsque sans craindre d’y inclure ce qui gêne une approche
première et limpide et en travaillant l’image comme matériau visuel, elle la rassemble à d’autres non dans un schéma
d’argumentation mais en échos en rimes, en composition de rythme varié, en partition. Cette recherche ne signifie
pas l’inanité, ce qu’elle unit sont corps d’humains et gestes de ce monde.
Bodies of Water, en parole personnelle de Cheryl Pagurek, organise une vision autre des piétons filmés
dans la ville selon une transformation des signes. Cependant, les corps déambulent, ils courent, tel le jogger ou ce
tout petit gambadant suivi par son père; un plus grand pratique le skate ou retourne l’objet sous le bras; un autre
lance son ballon et cherche à le rattraper; une fillette avance directement, puis en diagonale, puis repart; ils avancent
rapides, ou soutenus par une canne, en chaise roulante voire appuyé par un déambulateur. Ainsi s’y discernent les
âges, des hommes et des femmes et des enfants et des seniors; ils répondent au réel, ils participent à cette image
de la vie en condensé, qui réunit des signes comme le jeu, les cannes voire le téléphone de cet homme qui y est
toujours lié, et qui se termine avec une pointe d’humour par l’homme au déambulateur.
Ils sont pris par le climat et se protègent de la pluie par un parapluie ou du soleil par un chapeau; ce-
pendant cela a lieu simultanément, alors que certaines silhouettes sont reprises. Si Bodies of Water retient les mou-
vements humains dans la ville, ils sont renversés, inversés, la traversée de l’espace adopte des directions possibles
dans le réel mais sans logique expresse ; toute orientation est adoptée : haut, bas, droite, gauche, diagonale. Bodies
of Water s’éloigne ainsi du compte rendu de la vie urbaine pour que des variations eau / corps poétisent l’urbain.
La vidéo aime le croisement, le chiasme y est fondamental produisant l’union forte de l’homme et de
l’eau : les reflets impliquent les hommes réduits à des silhouettes monochromes parfois en noir, le plus souvent co-
lorés comme l’eau, ou inversement les silhouettes des hommes alors qu’ils se déplacent sur un fond monochrome
variable vert, bleu clair, entourent les mouvements de l’eau. La seule occurrence d’images mimétiques des citadins
les découpe en silhouettes emplies de ces corps référentiels alors que la poésie glisse à l’amusement, quadrillant
certaines de ces formes d’un motif qui s’avère, dans le déplacement, la chemise à carreaux d’un passant.
L’eau reste le composant privilégié ; elle aussi, dans l’envol de la variété perd sa couleur canonique et la
reconnaissance des vagues; elle devient vibrations de couleurs fortes, primaires en nombreux cas. Elle est bandes
horizontales étroites ou plus larges, verticales agitées ou en stries plus larges, traces en mouvement.
Cette fébrilité atteint l’icone humaine ainsi, outre le dessin simple du contour anthropomorphe, un croquis à traits ha-
chés tout aussi agiles et agissants, détache vibrant sur fond uni, une femme tenant par la main ses enfants rattrapée
par le père sautillant ; il compose un marcheur, avant que la clausule au déambulateur réunisse en coda musicale,
et silhouette et crayonné.
Les corps de l’eau, le corps de l’eau et ce vers mallarméen tout aussi vibrant : « À quoi bon la merveille
de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant, si ce n’est
pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure ? »
Simone DOMPEYRE
62 C I N É M A E X P É R I M E N T A L - A R T V I D É O - M O N O B A N D E S
Maquette V3 2015.indd 64 21/06/2015 19:47:31