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TRAVERSE VIDÉO ET LE CJC

              Il explique comment il a cherché à comprendre sa fascination de France Gall, là et dans cet espace-là et cette
           robe-là, allant jusqu’à comparer d’autres clips d’elle qui, jamais ne procurèrent un tel appel sur lui. Il se sait stupéfait
           mais ne se comprend tel. Ainsi revient-il sur la chevelure trop blonde, le regard haptique, le fil ( du micro ) partageant
           le corps, le vêtement.

              Ainsi en saisit-il la vacuité et les couleurs de cette vacuité, la platitude de la voix « sans vibrato ».

                         Et il a beau s’emporter contre ces hommes - les spectateurs captivés - qui « la regardent avec leur bite»;
           il relate la nuit d’été où il passa la captation en boucle avant de recommencer les jours suivants. Il dit la chanteuse
           se donnant à lui, comme à tous les autres, dans cette lucarne dont elle le fait captif alors qu’il thématise qu’elle n’est
           porteuse que « de vie morte » puisqu’il redoute si peu l’oxymore.
           L’atteste le pont entre la pensée philosophique et le portrait de la chanteuse ; quand il rappelle la distinction des nu-
           dités de Levinas selon lequel le visage est la nudité par excellence… ou cet autre entre elle, chanteuse pervertissant
           la langue allemande et Heidegger qui, même dans ses écrits politiques, s’en serait gardé.

                         L’implicite sur l’histoire reste constant qu’il fasse allusion à la guerre ou à 68 dont il ne signale que ce
           qu’enregistrent les Beatles et un décret sur le stockage des aliments. Boris du Boullay y ramène encore lorsqu’il
           s’autoportraiture en creux et en bribes : origine limousine, âge; sans concession sur sa « faiblesse naturelle » - son
           côté Keaton, sans rire et amoureux de le rencontre absurde.
           Il explicite en une bande de Moebius vertigineuse - son film explique ce pour quoi, pourquoi, par quoi, comment il se
           fait - ce qui le fait écrire / filmer à savoir monter depuis que le numérique est le support. Il le pratique en une structure
           répétitive, ralentissant telle phrase, annulant l’inanité du chant sous la glose triomphante. Le montage se nourrit du
           discours sans arrêt, de l’accumulation des pistes d’approche du phénomène qu’il porte. Chemin faisant, il apprécie
           le cadrage de l’opérateur de ce plateau télévisé qui laisse le juste espace au-dessus de la tête et sait faire un cadre;
           même en prônant le film écrit dont J’ai un problème avec France Gall est le « quatrième chapitre », Boris du Boullay
           garde l’œil aiguisé du cinéaste.

                         Il tisse un film où l’intime croise l’Histoire et la chanteuse qui l’appelle par les sens; la fiction - car France
           Gall y est un être composé pour et par cette chanson - provoque la pensée. Ce visage rencontré en ravissant l’autre
           l’entraîne à penser en cinéma montagiste, entraîne à la liberté d’être, y compris devant une pâle chansonnette mal
           dite en allemand, lors de l’Eurovision du 4 juillet 1968.

                                                                                           Simone DOMPEYRE

                                                                                    Mrigankasekhar GANGULY / Hyash
                                                                                    TANMOY,
                                                                                    Stark Electric Jesus, 12min, INDE

                                                                                                  « Je donnerai un coup de pied dans
                                                                                    le cul à tous les Arts et je partirai » annonce Ma-
                                                                                    lay Roy Choudhury dans sa poésie Stark Electric
                                                                                    Jesus dont s’inspirent les auteurs.

                                                                                       Cette vidéo en forme de manifeste réagit à une
                                                                                    loi indienne criminalisant l’homosexualité, insti-
                                                                                    tuée par les Anglais au XIXème siècle, d’abord
                                                                                    abrogée en 2009 puis réactivée en 2013, elle
           punit les relations « contre l’ordre naturel» jusqu’à la prison à vie. Loin d’une œuvre didactique ou explicative, les au-
           teurs s’emparent de la vidéo pour créer une œuvre surnaturelle, s’inspirant de rites traditionnels voire chamaniques
           pour dépeindre un désordre chaotique et organique, parfois violent, parfois doux et éblouissant qui mêlent l’homme
           à son environnement de manière inextricable.

                         On assiste à des processions, des performances aussi bien artistiques que religieuse ( y a-t-il une
           différence après tout ? ), mêlant le sang, la terre et les viscères. Une « procession d’organes mouillés et glissants »
           comme la décrit le poème. Le sexe y est présenté de la même manière que la tête tranchée d’une poule, la boue,
           la bouse et la peau bleue de cette femme-divinité sensuelle, érotique et mythique. Le tout s’entremêle dans une
           succession tantôt muette, tantôt bruyante d’images saisies au vol ou mises en scène (et peu importe).

66 C I N É M A E X P É R I M E N T A L - A R T V I D É O - M O N O B A N D E S

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