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TRAVERSE VIDÉO ET LE CJC
Boris DU BOULLAY, J’ai un problème avec France Gall, 8min 45, FR
Boris du Boullay aime la parole pleine même s’il se plaît à une évidente distanciation de ses propos
alors même qu’il provoque ce plaisir pas si fréquent devant de telles improbables rencontres entre la vidéo et la phi-
losophie. Philosophie qu’il convoque sur ce terrain des variétés télévisées parce qu’il creuse, encore et toujours, un
sillon phénoménologique sur l’idée que « le cinéma peut restituer le temps antérieur en lui substituant des traces de
l’absence». Boris dit son cinéma marqué par Rossellini, Duras, Tarkovski, Chaplin ou Rozier; pourtant si on écoute
J’ai un problème avec France Gall, on lui prêterait volontiers des accents d’un Rohmer mâtiné de Keaton.
Un Rohmer appréciant l’absurde, dans des plans moyens où un corps encore adolescent se dandine
maladroitement, faisant celle qui maîtrise son discours et ce corps ; ou tels autres en demi-ensemble de cette même
chanteuse, entre quatre pots de fleurs et près d’un orchestre, dont la robe courte découvre le genou ce que décrit
une voix masculine plus âgée.
Cette voix ausculte l’attitude de la jeune femme, ainsi que Rohmer appréhendait la collectionneuse, ou Claire et
son genou. Elle est celle de Boris du Boullay lui-même, commentant la chanteuse dans son rôle, au Grand prix de
l’Eurovision en une observation purement phénoménologique « la décrivant sans aucune prévention morale, sans
aucune préoccupation sociale ou métaphysique, telle qu’elle est donnée dans l’instant ».
Le film, par-là, suit l’égide de Levinas, réel inventeur de cette dernière réflexion. Boris du Boullay le revendique.
Toujours en voix over, et toujours sur les images de France Gall, il cite ce philosophe, Levinas, et la
phénoménologie, comme il revient à Heidegger dont on sait qu’il fut introduit en France ainsi Husserl, par le premier
qui s’opposa ensuite à lui, coupable de compromission avec le national-socialisme / les nazis sans nier pour autant
la force de Sein und Zeit / L’Être et le temps, car « Le Malin peut être génial ». Plus encore, Levinas récusa les deux,
au nom de la primitivité du rapport à l’autre : le rapport à l’objet, même posé dans un retour aux données premières
de la conscience, ce rapport est déjà une intellectualisation.
Boris du Boullay fonde son film sur cette théorie : dans le rapport à l’autre, l’autre apparaît toujours dans sa vérité
nue de « démesurément autre », dans la nudité désarmante de son visage, et désarmante aussi parce qu’elle me
désapproprie de moi-même, de mon passé, de ma tradition. La fascination devant le visage sans acuité de France
Gall en est preuve. Il la tresse avec des appréciations triviales prenant le risque du frôlement avec le ridicule, tant est
suspect, aujourd’hui, ce qui pense en expérimental.
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