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TRAVERSE VIDÉO ET LE CJC
Il mérite aussi ce titre, car sans chant, il s’avère une composition musicale visuelle fondée sur un tempo rapide,
entraînant les images à la limite de l’abstraction, à la limite de l’iconicité par le passage sous l’eau, la surimpression
de lignes, la déformation du plan visage, la fragmentation du corps. Le montage court déréalise un espace, dans la
succession de lieux éloignés- escalier, cascades, ciel traversé de feuilles, d’avion, flaque…dans le renversement des
orientations- la cascade remonte, les traits raient le champ, les immeubles sont inversés … il privilégie le mouvement
interne au champ- cours d’eau, démarche du corps, feuilles volantes, plumes jetées, avion… et cela se peut avec le
motif de la chute- l’avion, les feuilles et le corps tombent, l’escalator est emprunté vers le bas.
Il l’est dans l’action continue : la grue traverse le ciel, cet engin réunit la terre et l’eau et en dernier plan,
un espace aux murs de métal, type grand ascenseur, est fermé par un double volet du haut et du bas, mais aupara-
vant, sans que se distinguent les deux amis morts, le corps nu emblématique de cette mort, s’est quasiment dissout
dans l’eau après que son pubis a reçu les pétales de fleurs. Autant de métaphores refusant le pathos, le larmoyant.
Le regret est digne. Cérémonie laïque.
Simone DOMPEYRE
Thibault LE TEXIER, The invention of the desert, 7min 18, FR
La fin de toute vie sur la terre n’a pas été le résultat d’une guerre mondiale, d’une déflagration atomique,
d’un astéroïde géant ou d’une invasion extraterrestre, mais d’un choix rationnel. The Invention of the Desert déploie
un effrayant récit d’anticipation sur fond d’images virtuelles extirpées de films d’architecture et de design d’intérieur.
L’idée m’en est venue d’une publicité pour le centre commercial Aéroville, non loin de Roissy, tout était si artificiel, si
fabriqué, que c’en était effrayant alors que c’était censé faire rêver. Je me suis intéressé à des vidéos d’architecture,
tout en poursuivant diverses recherches sur la technique, l’humanité augmentée, la singularité. Et ai pensé faire
discuter ces deux matières, l’architecture et le post-humanisme, tous deux, fruits d’une même logique instrumentale :
dans un cas, l’instrumentalisation de l’espace, dans l’autre l’instrumentalisation de l’humain.
J’ai l’impression que nous devenons de plus en plus esclaves de nos créations, qu’il s’agisse des
voitures, des médicaments, des téléphones ou des ordinateurs et le film parle du moment où les machines nous
coachent, nous gèrent, nous gouvernent. Cette question de notre autonomie par rapport aux machines est l’une des
plus importantes questions existentielles à laquelle doivent répondre tous ceux qui vivent dans des sociétés qui ne
sont plus structurées en profondeur par la religion et la tradition. Comment devient-on libre, puisque l’on n’a d’autre
choix ? Je me suis intéressé à Second Life et j’espère que les spectateurs feront le lien entre ce type de monde
virtuel et l’avenir possible que je décris, mais je n’ai jamais eu de Tamagotchis, je trouve un peu effrayant d’avoir
une relation émotionnelle avec une chose incapable de ressentir quoi que ce soit. En cela, je suis conscient d’être
d’une espèce en voie de disparition, si j’en crois le bon livre d’une ethnologue du MIT, Sherry Turkle : Alone Together:
Why We Expect More From Technology and Less From Each Other, 2011. Elle y étudie les relations qu’entretiennent
des Américains de tous âges avec des Tamagotchis et des peluches robotiques, et elle en tire des conclusions
effrayantes, alors qu’elle était à la base plutôt technophile. Son enquête montre en l’occurrence que « les gens sont
prêts à considérer sérieusement les robots non seulement comme des animaux domestiques mais aussi comme de
potentiels amis ou confidents, et même comme des amoureux ».
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