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TRAVERSE VIDÉO ET LE CJC
Monira AL QADIRI, Abu Athiyya / Father of Pain, 6min 30 KOW
Abu Athiyya / Father of Pain opère un décalage des plus iconoclastes en montant le mime d’une figure
grimée - l’artiste elle-même - se mouvant sur une Mawwal, lamentation interprétée par Yas Khodhor, un chanteur
reconnu du Sud de l’Irak. Père de la douleur adopte les canons de la montration de la tristesse, telle qu’elle s’est
exercée des siècles dans cette région du monde alors même que de telles formes s’éteignent.
Ce n’est pourtant pas un travail de collecte de données de la tradition, encore moins un rappel de
rites selon la position externe attendue d’ethnologue mais la marque de la distance face aux gestes que la tradition
accorde aux genres. Monira Al Qadiri est koweïtienne née au Sénégal, elle fait ses études au Japon, où elle obtient
en 2010, son doctorat en intermédialité à l’Université des Arts de Tokyo, pour sa recherche axée sur l’esthétique de
la tristesse au Moyen-Orient, dans la poésie, la musique, l’art et les pratiques religieuses.
Son travail explore la relation entre le narcissisme et la masculinité mais aussi les dysfonctions concer-
nant les rôles attribués au genre avant de désormais étendre sa réflexion sur des thèmes plus sociaux et politiques.
Cette pièce vidéo rallie ses préoccupations de chercheuse et son approche artistique intermédiale. Ainsi l’artiste se
fait performeuse en s’agitant le long de la voix quant à elle, respectueuse de la Mawwal. Le noir enrobe l’espace
total d’où se détache le blanc d’une tombe réduite au linceul entouré de fleurs blanches et flanquée d’une colonne
surmontée d’une volute style arabe. Des signes du funéraire plus qu’un tombeau réel. Y repose tête surélevée par un
coussin brillant de satin jaune, une figure tout aussi étrange, à la barbe frisée et aux grands yeux noirs des statues
perses. Le maquillage appuyé participe à cette étrangeté qui confine quand le corps se lève et se meut pour une
danse du couteau selon la chorégraphie d’une légendaire gitane irakienne dite Malayeen. Elle se risque à la barbe
de l’homme, à la chemise des funérailles, au regard de la statuaire, aux mouvements dansés de la femme. Elle se
joue du genre dans la distance irrévérencieuse sans sacrifier le chant.
Simone DOMPEYRE
* Ce film a été soutenu par Al-Mawred Al Thaqafy / The Culture Resource, Egypte.
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