Page 114 - catalogue 2017
P. 114
Installations 1. Espace lll Croix-Baragnon
Les corps se ressemblent dans leur posture, droits, immobiles et le dénuement des épaules, sans afchage pourtant
d’une nudité triomphante. Le champ s’arrête au-dessus des seins voire dépasse pour l’une, un minuscule fragment
du bustier noir les couvrant. Leur image ne bouge pas d’elle-même, leur mimique identique, impassible afche la
pose imposée ; regard sans changement, posé sur nulle part, sans sourire, silence marqué, elles ne sont pas pour
autant fgures de clones ; les distinguent le dessin et l’épaisseur des lèvres et la coupe de cheveux, courts pour
deux, avec variante de la nuque et autour des oreilles, longs plus clairs pour la troisième placée entre les autres.
Les blocs sont de glace, ils subissent des raies, des zébrures, de la fonte… parfois, une coloration bleuit sans
couleur. La déformation n’est pas de la souplesse mais du coup-à-coup sans excès ni bruit. Des points vus sur la
transparence grâce au noir du fond, en punctum fragile, précèdent le délitement. Des lignes brisées devancent les
coupures.
L’image se défait parce que le médium se défait. Si les corps s’afchent d’expérience, ce sont des photographies
d’eux et non tortures du vivant, traits et non écorchures. Jamais la corporéité n’est attaquée en tant que telle mais
le corps-image.
Si d’emblée, les occurrences des mouvements des blocs sur eux-mêmes ont imposé la partition comme mode
d’emploi, plus précisément c’est la sérialité musicale qui s’avère le fondement de cette œuvre, avec les variations
idoines rythmiques et de tempo, en un duo complexe avec la création musicale de Laura Murtomaa qui, elle,
réclame un volume sonore actif.
Cette musicalité métaphorique et littérale enchaîne à penser l’image et le processus ; la glace que la naïveté disait
immortelle jusqu’à penser survivre par cryothérapie, à tel point que la fction française en retint la possibilité. Ainsi
Molinaro, dans Hibernatus réveilla-t-il en 1969, date commune au tournage et à la diégèse, un savant pris dans les
glaces en 1905 désormais plus jeune que son petit fls.
La préoccupation intellectuelle du propos d’Eric Mutel est ailleurs, elle ne se fraie pas davantage vers la version
scientifque, ni vers un Ötzi - nom donné à un être humain, du Chalcolithique, soit 4 546 avant notre ère, momifé
naturellement et découvert par un couple de randonneurs, en 1991 dans les Alpes de l’Ötztal, parce que la couche
de glace de sa conservation avait été attaquée par la forte chaleur de cet été-là.
Au contraire la capacité de variation, de mouvement de l’immobile, de dépassement du supposé intangible, lui fait
approcher les incompatibles ; une famme s’attaque au bloc.
Le papier photographique brûle, devient noir puis cendres.
Mute se fait l’exposé de l’imperceptible… photo sur fonds aqueux, eau devenue forme, feu ramenant à l’eau; retour
aux éléments par eux : archéologie du savoir.
Le bloc puisque bloc est déjà perte de l’intangible, un fragment est coupure d’un ensemble. Le bloc est attaqué, par
sa nature même hors de son espace, il fond mais simultanément il provoque d’autres images, il les varie.
Plus encore, dans les stases, l’efet de dépassement du cadre / du bloc vers celui qui voit, ne le calme pas dans son
attente ; trois icones / icônes font face, regard dardé, mais sans voir et disparaissant ; les gouttelettes ne coulent
pas sur le visage, elles le défont ; plus, le feu antagoniste s’insère dans le trou qu’elles ménagent ainsi. Antagonistes
mais en trompe-l’œil, car ces fammèches sont de la vapeur d’eau.
En efet, la lumière cause le réchaufement des blocs de glace, lumière du projecteur et chaleur de la lumière. Eric
en parle avec des mots de chercheur d’inouïs : « l’image en tant que matière - puis qu’émulsion liquide, se réchaufe
et fait fondre la glace. Quand la glace a complètement fondu, l’émulsion liquide sèche et de la vapeur d’eau s’en
s’échappe, alors qu’elle continue à se désagréger. C’est une sorte de brûlure de l’image, mais par la lumière, par
la chaleur de la lumière, et par la glace avant, comme on dit que la sensation par la froid ou par la glace c’est la
brûlure aussi. »
Au-delà d’une défnition de la beauté comme intangible et modèle inaltérable, l’installation fonde la sidération. En
déjouant la conservation, Mute produit « l’improductible » : la peau de la glace.
Si la pseudo immortalité des images est déjouée, l’image retrouve son support sensible.
L’installation bénéfcie de cette réfexion, jamais elle ne cherche à ressembler à une sculpture, elle désinstalle, elle
se travaille en transmutation.
Simone Dompeyre
112