Page 117 - catalogue 2017
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2. Musée des Augustins Installations
En un plan fort équilibré, des grappes de raisin ofrent un noir profond
posé sur le vert en contraste des feuilles vertes et d’une ou deux
vrilles… simplicité absolue, mais une ombre travelling obscurcit
l’ensemble jusqu’à le faire disparaître et le faire réapparaître. Le
passage retrouve les raisins dans sa lumière.
Ainsi des feurs éphémères, une partition minimaliste, un seul plan
fxe mais que de mouvements, que de connotations pour la feur
amoureuse… ainsi un raisin plus robuste qui passe de la brillance à
l’invisibilité selon la lumière.
Les deux tableaux vidéographiques forcent à oublier le syntagme
italien qui traduirait « still life » : oggetti di ferma / objets sans
mouvement et à rappeler que si still peut se lire comme calme, il le peut aussi comme « encore / toujours ». Au-delà
de la Vanitas vanitatis de L’Ecclésiaste qui assène à l’homme qu’il est mortel et qu’il ne lui faut pas « s’attacher à ce
qui passe si vite et (de) ne pas se hâter vers les joies de ce qui ne fnit point », pourquoi ne pas revenir à cette autre
assertion du même livre : « L’œil n’est pas rassasié de ce qu’il voit ni l’oreille remplie de ce qu’elle entend », ce qui
peut se comprendre comme un appel à voir et à voir encore.
Cf. Autre oeuvre, Cinémathèque p.131
Simone Dompeyre
Theodore USHEV, Sonambulo, 4min20 (Bonobo, Croat.)
Et si le bonheur existait ?
Ce n’est pas la première fois que Théodore
Ushev marie son écriture d’animation aux
compositions musicales de Kottarashky,
originaire comme lui des Balkans. Opa
Hey emporte ainsi dans ses accents
syncopés, scandés de voix venues des
bals populaires, la danse de drôles d’êtres,
polymorphes, venus de bestiaires étranges
ou anthropomorphes et de tableaux de
Miró.
Cependant pas de folklore facile, même si l’Espagne est invitée par la citation en incipit et l’emprunt du titre de
Romance sonámbulo / Romance somnambule de Federico García Lorca qui y bannissait l’esprit famenco, en
afrmant que « personne ne sait ce qui s’y passe, même pas moi ».
Elle y est doublement appelée puisque, sous l’égide des trois vers étranges et dans une police peu usuelle :
« Dessus la lune gitane, / toutes les choses la regardent / mais elle ne peut pas les voir » la vidéo entraîne en une
fête exubérante et vivace, digne du Carnaval d’Arlequin du peintre.
Pas de perspective, sans préoccupation de proportions, dans un dessin au trait fn, sans modelé, les motifs de
Miró étoile, disque, êtres mi-hommes mi fgures géométriques, oiseaux-feurs et feurs-oiseaux, serpentins, taches
colorées surgissent, sautent, se poursuivent à grandes dents avides ou en cœurs multipliés. En échos aqueux ou
pointillés sans obéissance aux référents, près d’un soleil avaleur ou lanceur de fumée, en solo, en duo ou en corps
de ballet, virgules, cercles déformés, anthropomorphes gesticulent. Cela ne perd pas de temps, cela en procure un
de jouissance de la couleur.
Une folie partagée jusqu’à l’acmé en surimpression et mélange absolu de tous ces éléments que la vidéo en
changeant d’échelle transforme en motif d’une robe, elle-même aussitôt pendue, en extérieur, à un fl à sécher le
linge alors qu’en pointillé gris et blanc s’esquisse un village ancien : retour à la romance.
L’éloignement est absolu d’avec Nightingales in December* où la beauté faite visage d’adolescent assistait derrière
la vitre à la meurtrissure, à l’assassinat d’un groupe nombreux d’hommes et de femmes au bec d’oiseau.
La force vitale balaie ce souvenir de génocides, oublie que les rossignols ne chantent pas en hiver convainquant de
l’allégresse possible grâce à l’animation en musique colorée.
Miró pensait que « La toile idéale serait un poème mis en musique par un peintre », Théodore Ushev prouve que cela
peut être un poème enmusicalisé par un artiste du cinéma d’animation.
Simone Dompeyre
*Cf. Autre oeuvre, Les Abattoirs, p.72
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