Page 119 - catalogue 2017
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4. Goethe-Institut Installations



Le travelling avant se répète entraînant dans la ville dont la reconnaissance est gênée par déformation iconique. Un
« ya / oui » tonitruant réitéré prouve la force de conviction de ce discours et de ses protocoles.
L’avancée temporelle vers un futur et la localisation en sont perturbées : ce qui se forme est le présent d’un espace
indistinct qui passe sans logique de la rue annoncée par la voix over, à une forêt où chute l’écharpe pour nourrir le
désir. Un présent de l’acceptation.
L’homme-réalisateur y applique ce qu’il commente comme le fondement de son travail : il entraîne dans une
expérience, il fait appel au subconscient, mais ce, en se réclamant de méthodes d’achat - transformé en vol de
nuit - d’objets du désir, en excitant la « fabrique des désirs », la boulimie d’acquisition.
Il commence par éliminer les éléments qui empêcheraient une telle attirance et qui tombent successivement dans le
champ, en une liste à la Prévert qui se clôt sur le pigeon pourtant élu par la suite : « je suis un pigeon » devenant le
mot à suivre. Cette contradiction est tranquillement répétée puisque sont taxés d’ennuyeux ceux qui font attention
au pigeon par celui dont ce volatile devient l’animal de compagnie.
Autant d’indices devraient inciter à écouter avec prudence ce qui vous est dit avec la plus grande des maîtrises.
Ce qui se réclame description du flm se faisant, flm réalisé contre l’avis de la femme de l’énonciateur qu’il insulte
comme parfaite idiote, incapable de comprendre précisément ses flms, s’avère dès lors, une leçon de prise de
conscience du pouvoir de la parole et de l’image en mouvement, du mouvement en image…
La misogynie afchée s’accompagnant de l’étrange amitié pour un pigeon qu’il prénomme Winston, qui roucoule
quand il lui parle et qu’il promène au grand dam des passants s’avère heureusement suspecte, de même que le
sourire devant de tels clichés assénés à la femme.
Le jeu importe son antidote : cette misogynie, ce refus de l’autre accompagne une appétence exacerbée pour les
biens de consommation mais mêlée à l’assertion répétée du désir du « pigeon », fait douter de la légitimité de cette
parole et induit à la reconnaître comme celle d’un gourou sectaire cherchant, en efet, à se faire suivre de naïfs / de
pigeons.
La perturbation fonctionne d’autant plus que le flm navigue en des plans esthétiquement composés, un montage
sans faille en renversement d’atmosphères, une musique changeant de registres et ce, en une envolée alternant les
lumières et les noirs comme autant de pointes d’ironie.

Simone Dompeyre
Aline HELMCKE, TRANSIT, 4min26 (AOM, All.)

De voyage il s’agit mais aucun toponyme ne précise la réalité d’un
lieu-dit et ce, logiquement puisque le transit n’est pas un lieu
d’élection où l’on se rendrait, mais le lieu / non lieu entre les murs
de l’aéroport ou de la gare que les itinéraires avec changement
d’avion ou de train imposent. Des fgures géométriques plus ou
moins régulières et épaisses tiennent lieu de piliers, murs de cet
espace gris… la pendule idoine, les quais, les paroles indistinctes
au micro et les bruits topiques de train et jusqu’au pigeon
métonymique, petite silhouette grise, la couleur à l’unisson de cet
espace, répondent au programme du titre, de même que la valise à
roulettes tirées par la seule - étrangement - jeune femme élégante
enveloppée dans son manteau et juchée sur des escarpins -en
rouge seul éclat. Elle lit un journal fnancier avant de monter
dans un wagon tout aussi étrangement vide et dont les sièges se
raréfent à l’arrivée.
Elle s’y assoupit recroquevillée sur les fauteuils avant, à son
réveil, de découvrir un unique deuxième voyageur buvant un café.
L’espace est simplement dessiné, s’en détachent les corps - type
papier découpé, tête de poisson pour elle, coude coloré de rose pour lui, leur tiennent lieu de visage cependant que
leur comportement répond à la norme humaine. Le montage suit aussi une logique du voyage jusqu’à ce que, en
travelling avant, l’espace se meut en appartement, salon puis chambre meublée années 70, où elle se tient dans la
même attitude, en fœtus, et les mêmes chaussures à talon…
Un homme à tête de coude, jambe et bras uniques s’approche d’elle en un geste amoureux avorté avant le retour
au train.
Et si TRANSIT concernait le passage du réel au rêve, si le transit était porté par le désir… non par un transport en
commun mais par un transport secret et personnel qui habiterait l’inconscient de cette jeune femme si sûre d’elle.
Le rêve passe très simplement, sans violence dans cette animation où l’étrange s’enrobe de tant de signes de la
quotidienneté que c’est celle-ci qui verse vers l’autre monde.
Simone Dompeyre
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