Page 122 - catalogue 2017
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Installations 4. Goethe-Institut
La destruction se fait art poétique : celui-ci applique ce qu’il énonce comme projet de création ; il est manifeste
et prouve ce faisant que ce qu’il défend est juste. Verlaine chante le vers impair en vers impairs ; Horace disait sa
défnition de la poésie en poèmes… La Destruction des Règles afrme la destruction du narratif en perturbant sa
propre structure. Le travelling avant en forêt ne découvre pas un espace mais l’écrase ; la surimpression du visage de
la jeune femme ne la décrit pas puisqu’il est aussitôt efacé ou bien s’éclipse en un fondu au gris. Les fls électriques
parallèles de l’incipit ne mènent pas à la clarté malgré l’oiseau matinal mais précèdent la perturbation du repas du
matin : œuf renversé, cocotier renversé, pain écrasé, main fouissant la mie trempée de lait en un montage court,
saccadé ; les TGP n’ont pas de fonction descriptive, trop brefs et abrupts, ils suivent la syncope elle-même portée
par la musique concrète, les tremblements électriques. Aux méandres du ruisseau et à ses fougères immergées
se joignent les lignes régulières d’un mur de briques rouges et roses ; plus de diférence nature / ville. La musique
industrielle envahit les frondaisons ; les sons du réel sont indépendants des plans images. Quand l’image obéit à
une harmonisation, ainsi des couleurs automnales d’un plan de demi-ensemble de la jeune femme debout dans la
forêt, la voix over refuse de l’accepter. Quand le soufe de la nature suit sa vitesse, une feuille au ralenti contredit
la naturalité du mouvement. Le flm invente sa propre logique d’un temps et d’un espace, sa propre cosmologie en
couleurs fortes : les eaux miroitantes se fondent en herbes vertes, une éruption solaire surgit dans ce sous bois…
deux plans, après la fn annoncée, sur-impressionnent à une main ouverte des efets de transparence perturbée, de
refets brillants, d’eau matérielle.
Simone Dompeyre
Susanne WIEGNER, Future in the Past, 7min07 (All.)
Future in the Past conduit un voyage à travers des espaces virtuels
où objets et lieux familiers sont décontextualisés.
Des navires naviguent sur une mer bidimensionnelle avant de
s’abîmer ; des trains vides dépassent des poteaux électriques
qui émergent; de petites maisons sans étages ressemblent à des
œuvres d’art juchées sur de très minces échafaudages alors que
s’alignent des routes inaccessibles et désafectées.
En un zoom arrière progressif, chacun de ces espaces se
révèle partie d’une scène bien plus élargie et, ainsi, comme des
installations de théâtre vues à travers un judas, se transforment
constamment, s’agrandissent alors que les motifs qui les occupent s’y répètent. En explicit, se retrouve la salle de
bains dans laquelle le voyage a commencé. Les images composées en infographie rappellent les peintures d’Edward
Hopper par leur sobriété, les vides calmes et les lignes épurées. Cependant le flm refuse toute interprétation simple.
Peut-être les pièces haut perchées renvoient-elles aux diférentes couches de la conscience et aux pensées
individuelles et le flm visualiserait l’entremêlement du conscient et de l’inconscient par lequel ils se forment
mutuellement. Les pièces irréalistes rappelleraient, quant à elles, l’incohérence des rêves qui renverse l’ordre
rationnel des choses et où les pensées et les idées se détachent de leur contexte, devenant des indices tissés dans
le monde du subconscient, que l’esprit éveillé ne peut atteindre. Le travail de Wiegner montre combien les points de
vue que nous considérons comme acquis peuvent être remis en question, en prenant de la hauteur.
Tamara Plempe
Cf. Autres oeuvres, Lycée Ozenne, p.124
5. Lycée Ozenne - boucles sur écran
Gianluca ABBATE, Panorama, 7min06 (Ital.)
Panorama ouvre une trilogie sur la ville, liée au concept de conurbation - ce qui désigne l’ensemble urbain réunissant
plusieurs villes dont les banlieues ont fni par se rejoindre. La vidéo obéit à son titre programmatique, en débordant le
champ de vision, le champ du possible, le champ de ce que peut une caméra. L’espace est créé en regroupant, sans
considération de la logique spatiale ni de leur implantation réelle, des signes des pays, des continents, des points de
planète. Gianluca Abbate, en optant pour la continuité du plan, rassemble les lieux habités en un(e) vill(age) global(e),
étendu(e) jusqu’à la métropole globale.
Les immeubles enserrent les hommes, à la taille d’insectes selon le plan général ou individualisés quoique sans
fonction diférentielle en plan moyen. Ils s’annulent tant ils sont nombreux - fourmis vues d’une autre planète - en
sortant d’un autobus ou traversant un pont, grimpés sur le toit des trains en Inde ou en montant des escaliers…
Ceux-là en une répétition sans fn réamorcent le même petit geste : se gratter, baisser la mini-jupe, s’envelopper
du sari ou tendant les bras de la gymnastique traditionnelle, s’embrasser, rester là ou fouiller dans le monceau de
détritus récurrent. Pas de motivation explicitée, des comportements refaits comme autant d’automatismes.
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