Page 123 - catalogue 2017
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5. Lycée Ozenne - boucles sur écran Installations
L’esprit de Mac Luhan plane, lui qui
théorisa l’inquiétude devant l’extension
des médias. Il théorisa qu’ils réduisaient
l’extension du monde, en en réunissant
tous les points, et ouvraient la
communication et simultanément, par
un tel pouvoir international,pouvaient
phagocyter l’invention de la culture, et
écraser l’homme interconnecté dans une
conscience globale régie par l’ordinateur.
Cependant, le fondement numérique
du montage est caché, emportée par
la mouvance… seules la saturation, la
prolifération, la fréquente absence du
moindre point vide provoquent l’interlocution. Cependant, papillons en gros plan butinant des feurs splendides,
agrandies plus que les tours d’habitation, d’étranges concrétions style corail voguant d’ici et là… feraient oublier la
ville asphyxiante, ils feraient oublier les voitures en miniature fottant / tombant dans le ciel bleu.
Et le panorama aboutit à une nature sans artefact… Avec le risque d’être annexée par l’homme toujours plus
nombreux ou inversement avec la chance qu’il comprenne que doit se réguler son appétit de conquête des lieux
vierges du monde, ainsi cet homme asiatique et son fls près d’un papillon plus grand qu’eux, vers lequel leur visage
est tendu, pourraient l’avoir compris.
Simone Dompeyre
Chantal CARON, Glace, crevasse et dérive, 10min (SPIRA, Can.)
Glace, crevasse et dérive de Chantal Caron est, à la fois, une forme
de vanité contemporaine, révélant la fugacité de la vie humaine
opposée à la permanence de la nature, et un hymne sensible à la
confrontation entre l’homme et la nature.
Le paysage rigoureux de l’hiver québécois y devient un décor à la
fois vierge de construction humaine, presque neutre de ce point
de vue, mais reconnaissant la puissance de la nature. Les deux
danseurs tantôt nus, tantôt vêtus comme un chef d’orchestre et
une chanteuse lyrique semblent privés de langage.
La communication et le sens passent par des grognements, des
mimiques et des gestes qui les rapprochent des craquements,
glissements et dérives de la glace sur le feuve. Les danseurs sont unis avec ce dernier par un dialecte sensible
et sensuel, qui rend la nature familière mais toujours imprévisible et puissante. Bien que partageant le mode de
communication des danseurs, le Saint-Laurent se comporte sans prise en compte de leur comportement, ne
s’accordant pas avec les postures du chef d’orchestre ni ne s’adoucissant quand les danseurs sont nus, exhibant
par là leur fragilité.
Dans cette description, se perçoit comment une absence de langage normé peut être propice à la profusion des
sens. Cependant la thématique de Traverse Vidéo du lieu et des sens en 2015, induisait à considérer l’infuence du
lieu de réception.
Cette œuvre de Chantal Caron a été réalisée au bord du feuve Saint-Laurent, au Québec, durant l’hiver or ce lieu
vu de Toulouse produit l’efet d’un décor, d’un exotisme et non celui d’une réalité vécue. Ce qui a un double efet,
d’une part en amplifant le caractère esthétique du lieu par son étrangeté, d’autre part il n’entraîne pas ou peu
de réminiscences susceptibles de connotations positives ou d’angoisse. Cela a un impact sur la réception des
propositions artistiques. Par exemple, certains plans de Glace, crevasse et dérive s’apparentent à la nature morte,
par l’intégration d’objets manufacturés, parmi lesquels un vieux landau et une télévision, dérivant seuls sur une
plaque de glace et traversant le champ.
Ces natures mortes pourraient être des vanités partiellement ironiques et moqueuses face à l’obsession matérialiste
de notre civilisation, ironie d’une part peut-être liée à un trait d’esprit français, mais surtout liée à ma position
détachée de cet espace, les berges du Saint-Laurent, et des craintes qui y sont liées. Interrogée sur l’humour ainsi
perçu dans de tels plans, Chantal Caron en a été étonnée; pour elle qui vit avec le feuve ce n’est pas une métaphore
fantaisiste et potentiellement amusante mais l’angoisse d’une réalité, angoisse vécue d’autant plus que ce sont ses
propres objets qu’elle y apporte, créant, peut-être ainsi, une sorte de conjuration, de catharsis.
Mael Le Golvan
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