Page 121 - catalogue 2017
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4. Goethe-Institut Installations


identiques à tous ceux qui ont agi ou obéi
jusque-là, ceux de l’artiste : Bjørn Melhus
qui, dans le champ et hors cadre, a tous
les pouvoirs.
Donneur de leçon ou soumis à la leçon, ces
êtres entonnent des termes qui, quoique
aux accents et connotations loufoques, en
total accord avec l’univers créé, viennent
des écrits de Ayn Rand, chantre de
l’individualisme absolu.
Ils se réclament de l’« Objectivisme », ainsi
désigné puisque la réalité y est reconnue
comme objectif absolu, réalité que
chacun doit comprendre afn de survivre, chacun ayant pour se guider sa raison, ce qui lui réclame d’accomplir un
fondamental travail de conceptualisation. Ils défendent que tout se résout en une seule obligation que l’être humain
doit poursuivre : se surpasser durant toute sa vie. Les formules répétées dont la redondance provoque le sourire
un peu forcé puisqu’elles sont infigées : «A est A» ; « la conscience est consciente » viennent de ses ouvrages des
plus lus aux USA, où Ayn Rand est la référence des ultralibéraux.
Et qui serait curieux du visage de cette égérie de l’ultra-droite américaine, le reconnaîtrait par la coifure au carré de
la matrone et dans la broche en brillants en forme de Dollars, celles qu’elle arborait.
La vidéo emprunte l’humour littéral qui réclame de prendre à la lettre, au sens premier, ce qui est dit : les voix
défgurent le sens, l’acceptation s’avère aliénation de la pensée. La liberté est réduite à obéir aux ordres comme
s’ils venaient du projet de l’obéissant.
Le projet dictatorial mâtiné de justifcations religieuses s’exhibe, très nettement, dans la gestuelle de la matrone et
la voix larmoyante de l’homme à la morgue : « Dieu a soin de nous ». L’image d’un pays du bonheur avec immeubles
neufs et élevés, avec structures sportives et chapelles claires se fssure de plus en plus. Sous la promesse du
bonheur sourd la dystopie : le bonheur aseptisé tenu sous la férule de maître et maîtresse n’est que trompe-l’œil et
leur pensée vide.
Le travail de sape de Melhus est attesté dans le décalage gestes / paroles des hommes dans la ville : l’arme est
humour ; arme d’autant plus que Ayn Rand refuse l’humour comme destructeur en tant que négation de la valeur
métaphysique de ce dont on rit. Elle considère comme « monstrueux de rire de ce qui est bien, de rire des héros ou
des valeurs, et par-dessus tout de rire de soi-même. (…) cela revient à vous cracher vous-même au visage. »
Melhus pourtant et ce faisant, crache sur cette idéologie rampante voire dominante selon les ETATS qui entretiennent
la mécompréhension des valeurs de liberté ainsi le duo dans la morgue – lieu dont la connotation n’entraîne pas
l’espoir de lendemains qui chantent- alterne « We have a choice. / Nous avons le choix » et « We don’t / nous ne
pouvons pas » induisant que le choix est illusoire puisqu’il dépend de l’instance dominante… avec badine.
Simone Dompeyre



Oliver ROSSOL, Die Zerstörung der Ordnung, 9min50 (AOM, All.)

La destruction des règles :
Du petit déjeuner dévasté à la forêt calme, une jeune femme se
laisse submerger par la force d’un désir de détruire… elle en subit
la force jusqu’à l’apogée avant sa rédemption, le sourire calme, les
arbres sans mouvements, le son en accalmie. Cela pourrait n’être
que l’exhibition d’un mal-être, d’une crise hurlée par téléphone
à un père absent… mais La Destruction des Règles s’avère une
parabole de ce que nécessité la création ; de ce que l’art réclame
pour être y compris de la part de son auteur. Suivre la règle enferme
dans la routine, dans le même, endort l’invention ; suivre les règles
écrase l’invention, inversement et cela s’énonce en clausule.
« La destruction de l’ordre au service de la création d’opportunités. »
Ce manifeste, le flm ne se cantonne pas à l’expliciter par une fction de la crise d’une jeune femme, il en applique
le projet cinématographique en renversant les modes d’usage de certains traits cinématographiques. Le visage
approché est plongé dans l’ombre.
Quand la jeune femme téléphone sans geste vif, sans contorsion, sa voix crie et les arbres, contre lesquels elle se
tient, sont tous marqués de chifres rouges topiques des arbres à couper d’une scierie ; cela n’entraîne aucun suivi
constructeur d’une narration. Tout se lit comme métaphore de la crise et du projet d’écriture.
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