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Cinéma Le Cratère Projections
dollars (estimation 2017), valeur économique, sociale et iconique », avant un noir du
déroulé du générique.
À suivre ainsi un peu laborieusement l’enchaînement des plans, on fait l’expérience
de l’écart entre le projet initialement défendu et le film réalisé dont la logique d’images
poursuit sa propre construction et perturbe la continuité narrative qu’on croyait
pouvoir saisir. Ainsi la présence de deux hommes en face à face (comme on l’a déjà
remarqué), apparemment confirmée par le regard préoccupé du second, qui apparaît
plus loin, traversant ses lunettes (5min14 à 5min35 dans le film), s’est écartée du
projet d’avoir pour seul protagoniste Buchanan-Frankestein.
Un fil d’interprétation traversant, rassemblant la majorité de ses plans serait que
Buchanan vient constater les conséquences de sa théorie de la liberté aujourd’hui :
un monde enflammé par les militants de la liberté inconditionnelle tandis que cette
liberté de tout pouvoir acheter met en péril ce que les écologistes appellent le
Commun, les ressources naturelles dont le partage doit rester commun. L’absurdité
de cette extension illimitée du libre marché serait ainsi symbolisée par la mise à prix
de la barrière de corail.
Pris au pied de la lettre, si le film était simplement leçon, (« la rencontre avec cette
Liberté et son déficit écologique », Davies), elle paraîtrait un peu simpliste à résumer
ce déficit à la seule valorisation de la barrière de corail, alors qu’on assiste à tant
d’autres exemples de transgression écologiques et du Commun au nom de cette
liberté privée : utilisation des gaz de schistes ou exploitation du charbon à grande
échelle, ou encore dévastation de la forêt amazonienne.
Mais dans ce cas le film serait son propre message et il n’y aurait aucun besoin
de l’interprétation. Si justement, on s’est contraint à l’interprétation – dont on a pu
expérimenter la difficulté –, c’est qu’on retrouve avec CANAN la situation qui prévaut
dans toute œuvre engagée : dès que l’art investit le signifiant, il l’annexe à son profit,
s’autoorganise et poursuit sa propre logique de développement au détriment de
l’intention ou du projet initial, pour finir par se déposer en bloc de l’œuvre, refermé,
dans une structure métaphorique, sur l’éclat de sa propre signification.
Confirmation du débordement du projet initial et de cette autoorganisation le fait
que CANAN désigne aussi « Un projet qui englobe la réalisation de films 16 mm, la
photographie 120 mm et 35 mm, les œuvres sur papier, les œuvres d’art numérique,
la peinture et les objets sculpturaux, CANAN est avant tout un ensemble d’images en
mouvement sur supports mixtes entourant la vie et l’époque, réelle et imaginaire, du
lauréat du prix Nobel d’économie en 1986, James M. Buchanan. », James Hatton.
Pierre Dompeyre
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