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Cinéma ABC  Projections

et non celui du calcul des œuvres. Godard écrit au début du développement de
l’ordinateur accueilli avec une certaine résistance par certains. Hector Rodriguez y
trouve au contraire les potentialités d’une démarche artistique.

Son travail se démarque d’une précédente proposition expérimentale, fondée sur le
même film, en diverses versions : Les Aventures d’Eddie Turley de Gérard Courant, dont
la première en 1987, monte au banc-titre des images fixes – 2 400 photogrammes –
avec voix off et musique, il y interroge l’illusion du mouvement filmique et rend
hommage à Godard, à La Jetée, aux séries B américaines des années 1940, aux
cinémas. Les suivantes gardent la même bande-son, mais la II en 2008 filme ses
images par téléphone ; le III est une compression du II, de tous les plans du film
originel en 3 minutes. En 2014, le IV leur préfère des images cinétiques.

Hector Rodriguez affiche un projet tout autre, l’aventure est celle très maîtrisée du
graphe et de l’algorithme. Theorem 8 est un acte de mathématiques visuelles sur deux
films ; les images de l’un devenant une base de données pour la reconstruction de
Witch’s Cradle/Le Berceau de la sorcière de Maya Deren ; elle commença à tourner,
ce film jamais achevé, au Guggenheim de New York, en 1943, lors d’une exposition.
Pas de sorcière sinon Maya Deren, elle-même et Duchamp qui joue l’artiste, filmé de
dos alors qu’une ficelle commence à envelopper une jambe, puis son cou comme s’il
était pendu et des plans de quête abstraite sur des objets et un travail ombre/lumière,
une des marques de son écriture. C’est cette vigilance sur ce fondamental du cinéma
qui l’a fait retenir pour Theorem 8, de même qu’Alphaville est retenu pour faire de la
lumière et de l’ombre des actants.

Le film pensé en installation multi écrans, distingue dans sa version monobande,
quatre espaces en polyvision. La bande-son retient la musique topique du film noir.
Deux écrans, centrés, l’un au-dessus de l’autre, dont celui de la base garde des
bribes narratives jusqu’au EMC² écrit sur papier et des plans originels, l’autre de
même format qui le surmonte cumule les cent images contractées. Tous deux en
mouvement interne, l’un est lisible, l’autre visible en accumulation de luminosité variée.
L’ombre de l’un se déporte sur l’autre. Alphaville et sa reconstruction.
En bas, Lemmy allume sa cigarette, en haut une lumière se fraie sur l’accumulation
des plans, il photographie la jeune employée de l’hôtel, les flashes de son appareil se
répercutent ; se reconnaissent ces changements dans le plan devenu abstrait de trop
d’indications, de tant de superpositions.
De part et d’autre, deux grands panneaux d’écrans identiques, chacun compte
vingt-et-un écrans, trois en horizontale, sept en verticale. Chacun porte une des
variations en image fixe. Witch’s Cradle se recrée après sa décomposition en séquences
d’images et avec la projection des ombres de l’autre film. « Ombre » y devient terme

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