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Projections Cinéma ABC

Nino Fournier, Les travailleurs anonymes

10min44 | Suisse

« Forme qui pense », la formule empruntée
à Histoire(s) du cinéma, le miroir du cinéma
que Godard ose en vidéo, s’impose
pour cette variation structurelle d’un film
qui se dédie – pourtant – aux ouvriers
anonymes. En effet, le reproche – facile –
de la sécheresse voire de l’inanité de
ce cinéma qui adopte un schéma très
musical, parent de la musique minimaliste, s’effondre puisque le motif de cette
partition est celui qui travaille et que l’histoire a oublié. En 1995, en écho à une autre
préoccupation de Godard selon lequel le travail n’était pas vu au cinéma, Farocki avait
travaillé Les Ouvriers sortent de l’usine. Farocki s’emparait de films de tout l’éventail
du film d’auteur au film de genre, soviétique et hollywoodien, de fiction comme
documentaire, d’actualités voire de publicité de système de sécurité mais aussi de
vidéos de surveillance. Il tendait à prouver que de l’usine, le cinéma ne retient que le
lieu extérieur par lequel l’ouvrier s’évade de ce que lui, Farocki accusait d’oppression.

Le Tombeau que Nino Fournier compose à la mémoire des ouvriers tués par le travail
privilégie La Sortie des usines, cette image tout aussi emblématique que L’Arrivée en
gare de la Ciotat, versant vacances pour les industriels que sont les frères Lumière.
Tombeau en ce sens qu’il compose un « en l’honneur de… » ce qu’avère la croix
nécrologique qui ponctue, à la fin, très explicitement, son opus avec une date plus
polysémique 1911, liée à l’histoire politique et sociale. Comme hypothèse, l’enquête
en cent questions lancée par Karl Marx aux ouvriers.

La version de La Sortie des usines retenue par Nino Fournier est celle des trois filmées
où la porte laisse entr’apercevoir le haut de la charpente et restreint l’espace par
l’implication des murs… Elle en garde les mouvements multiples, irréguliers, hâtifs
qui se scindent vers les deux directions de la rue, les ouvriers et ouvrières avec en
creux la place de l’opérateur. Le propos de Nino Fournier n’est pas une analyse de ce
film fondateur à la fois film de famille, d’entreprise, documentariste de la chose vue,
germes de fiction… il est d’exaltation de l’ouvrier. Ainsi fait-il précéder ces ouvriers
de la pellicule Lumière, puis les fait-il rejoindre par quatre plans d’autres travailleurs,
empruntés au néoréalisme italien, n’est-ce pas le fils du Voleur de bicyclette, au cinéma
soviétique en ce plus que gros plan : hiéroglyphe du visage de la jeune femme triste
au regard transparent, de l’homme en casquette et regard dur adressé et de cette
jeune femme triste, la seule, tête baissée sur son outil de travail.

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