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Cinéma Le Cratère Projections
regard précis derrière des lunettes rondes. Le plan dit la beauté de l’intelligence de
Simone Weil.
Parfois les yeux se ferment ; comme seul mouvement, ce clignement. Parfois, le
silence écrin des mots qu’elle ou d’autres penseurs ont écrits et qui suggèrent qui
elle fut, est scandé par un bruit mat. Une envolée brève de Bach, métonymie de
l’éthéré, de l’immatérialité prônés par Simone Weil pointe sur le nuage musical
d’un fragment de Diphtong, El Omega de Hatori Yumi qui, lui-même, expérimente
de nouvelles formes de communication, mêlant différents langages audio-visuel-
numérique et électronique, pour provoquer différentes contributions sensorielles.
Ce musicien adopte pour nom générique « résonance stochastique », phénomène
physique où un signal de bas niveau devient plus fort et perceptible par adjonction
d’autres signaux voire du bruit, non signal par excellence.
La vidéo procède d’un même développement, son idée se nourrit de sources diverses
ne formant qu’un seul discours celui de Simone Weil : ce ne sont que fragments non
accrédités mais accordés à la philosophe partageant certaines notions, ainsi paroles
venues de dialogues socratiques quand Platon fait intervenir Diotime ou Alcibiade.
Ce sont, aussi, en rapide insertion, des rappels picturaux du Pérugin, sculpturaux
de David ou du Bernin, filmiques Dreyer ou Von Trier et Vinterberg.
Le portrait en creux de Simone Weil se construit avec le montage parallèle d’images
subreptices en surimpression, en fondu enchaîné, avec leurs couleurs sur le film terre
d’ombre : ainsi elle reçoit d’Artémis – la déesse vierge – de Minerve – la déesse de la
stratégie et de l’intelligence – de Jeanne d’Arc au visage de Falconetti – du visage en
extase de la Transverbération de Sainte Thérèse ou de La Bienheureuse Ludovica... En lettres
gothiques venues aussi de La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer, le désir de vivre sans
vivre puisqu’elle dit – sans le proférer, sans mouvements des lèvres – sa décision de
l’immatériel, de l’intangible, du sublime, de l’angélique, de la chasteté ; de, à l’instar
des vestales ou de l’« adolescent suicidaire », sa décision de ne pas se sustenter, pour
partir. Elle réclame d’être, « d’avoir droit d’être ce qu’(elle est) » d’« être mystique
par décision » et de disparaître, alors le fondu au noir écoute son désir.
Elle sait aller à l’encontre des règles sociales, agir ainsi alors que « cela est mal vu ».
Elle est « elle » Simone Weil.
Quant à Lisi Prada, au-delà de la relation d’un autre titre de la philosophe qu’elle
cite : La Pesanteur et la Grâce, elle y lit, en version de ses propres interrogations, le
« genre non défini » pour l’humain mais, aussi, par glissement, celui de l’écriture
vidéo logée encore « dans le coin sombre » de l’indéfini. Cet art vidéo qui
ne pouvait – historiquement pas – participer à la liste des arts indispensables à
l’humain que Simone Weil réclamait pour annuler la barbarie de la guerre et fonder
l’humain, devrait désormais figurer dans la formation de soi en variation constante.
L’implication en regard adressé de Dans le Coin Sombre est totalement porté par un
tel projet ou pensée et vidéo ne font qu’une.
Simone Dompeyre
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