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Cinéma UGC  Projections

l’horizon à l’arrière plan, un paysage d’arbres et de collines, avec au point de fuite
de la perspective dessinée par les rails, un point noir qui focalise l’attention comme
mobile, un point limite à l’extrémité du champ : le film relie deux espaces extrêmes.
Ailleurs, est le hors cadre. Il figure la représentation même : entre les deux seuils, de
l’avant voir et de l’après vu. On dit alors une vue.

Et le train devient l’un des topoï du premier cinéma. Citer le corpus entraînerait fort/
trop loin du périple intercontinental de Pang-Chuan Huang qui, de plus, se réfère
à Marker, un des maîtres inventeurs du cinéma qui parcourut, aussi, le monde et si
souvent l’Asie et lança des pamphlets contre la guerre1.

ASIE/VOYAGE/GUERRE/MÉMOIRE/IMAGE-TRACE autant d’aimants
du cinéma-MARKER pour Pang-Chuan Huang dont de telles préoccupations
confirment ces liens de la pensée cinématographique.
Son film s’écrit en noir et blanc dans des compositions de lumière et d’ombre,
dans la rapidité de plans volés au paysage, pris dans les gares et les wagons. Le
film débute sur la maison en une image avec beaucoup de grains, sépia beige et
un mouvement, en post production, la quitte pour atteindre des pieds… et étape
à étape en mouvement vertical, rejoint le visage… la fin opère l’inversion de ce
dévoilement et favorise l’image en format carré, en entier, sur le fond noir du
champ. Les fragments suivent le voyage du petit-fils – le réalisateur – dont la voix
décrit le voyage du grand-père et son long itinéraire : « ma destination est plus loin
encore » répète-t-il par deux fois.
Pang-Chuan Huang traverse l’Europe : Tourcoing – Paris – Strasbourg – Berlin –
la Pologne – Moscou – la Chine – le désert de Gobi. Ses milliers d’images créent
un horizon immense dont il inverse le sens de lecture occidental, ce qu’il marque

1  Il tourna, dès 1956, en quinze jours durant un voyage en Chine, organisé par les Amitiés Franco-chinoises
Dimanche à Pékin, son premier film couleurs avec en point de départ des images d’enfance, en impression de couleurs
saturées par des crayons de couleurs. Plus tard, en 1984 A. K le making-of de Ran, où la guerre dans son horreur
barbare se glisse dans le portrait d’un des maîtres du cinéma japonais.
Plus explicitement contre la guerre  : Loin du Vietnam, ce film collectif de Chris Marker, Jean-Luc Godard, Joris
Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Alain Resnais, 1967, pamphlet contre la guerre du Vietnam. En 1996, en un
dispositif filmique osé, jeu vidéo de stratégie dont Laura veut achever le modèle commencé par celui qu’elle aimait
et qui remémore la bataille d’Okinawa, de 1945, l’ultime de la guerre du Pacifique avant la bombe atomique,
c’était Level Five en 1997. Il y eut, tous deux de 1982, Sans Soleil et Le Dépays et moins grave, la rencontre avec une
jeune femme au prénom éponyme et qui ne correspond pas au type normé dans Le Mystère Koumiko, en 1965… Il
composa aussi, en 1972, Le Train en marche, un long entretien avec Medvekine très surpris d’apprendre qu’il était
devenu l’égide d’un groupe d’ouvriers ayant une pratique de cinédirect/une pratique collective. Il y rappela le
cinétrain, manière de réduire le temps entre le moment de la capture de l’image et celui où le réel nous revient
avec effet de sens, en précurseur de l’écriture vidéo et façon différente de travailler avec le temps, puis Le Tombeau
d’Alexandre se fit mémoire de Medvekine « le ciné-œil, c’est l’œil russe » à la Vertov.
Parfois acerbes et sans concessions mais toujours humains et amoureux du beau, ses films tous s’inquiètent de
l’oubli, des non-dits dans une constante invention de l’écriture cinématographique.

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