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Projections Cinéma UGC
d’une flèche dès son départ de Tourcoing, censée suivre, explique-t-il, le regard
d’un autre-rare-voyageur sur le quai. Il déroule le film de la droite qu’il considère là
comme le passé, vers la gauche qui serait son futur proche au bout du long voyage,
et ce, selon le mode d’appréhension de la peinture sur rouleau chinois qui conserve
une durée comme le fait le cinéma mais aussi, parce que le retour est celui sur la vie
du grand-père, sur son ascendance et retour dans sa famille et parce que le retour
inaugure toujours un autre départ.
Pang-Chuan Huang est un filmeur-voyageur comme les Américains disent filmmaker.
Il inscrit son périple et, au début les dates, en blanc, petites lettres manuscrites ; il
les désigne oralement dans sa voix qui entrelace le français aux légères intonations
de sa langue maternelle. Une musique personnelle s’ajoute à celle dont il saisit la
nécessité au moment du montage avec les annonces en diverses langues toutes aussi
codées, cependant sans des informations ferroviaires avec les sifflets, les klaxons des
trains mais rien de folklorique : le voyage est personnel, paradoxalement intime.
Pang-Chuan Huang a opté pour un protocole de prise de vue proche des appareils
des premiers temps du cinéma mais aussi de l’usage amateur. Parti avec quatre
appareils photos dont – prévoyant avec juste raison, puisque les trois tombèrent en
panne, lors de la traversée de la Sibérie – trois Canon EE demi-17, à savoir cet appareil
photo qui prend soixante-douze images et non seulement trente-six avec une
pellicule habituelle 24 x 36 mais peu stable. Son souci de la pellicule et des manières
de filmer rejoignent ainsi celle de son « ancêtre » en cinéma. Marker conçut son
livre de photographies Coréennes, comme « un court métrage fait avec des images
fixes » en 1959, devançant ainsi La Jetée. Pang-Chuan Huang capte les moments
du voyage, les lumières des gares, les passages et les longs tunnels de Moscou, les
feux d’artifice en Chine. Les points lumineux isolés en Europe, les fils lumineux
ondulés, les éclairs, les virgules en Chine, le corps du chef de gare ou l’arrière du
train s’approchent du premier plan selon des prises de vue se rapprochant ou par un
changement de diaphragme ; de légères saccades demeurent ; la discontinuité des
prises ne se cache pas sous une continuité fictive. Les différences de mouvements, du
filage au plan calme répondent aux anecdotes sur de rares voyageurs. Seule la mer
colorisée occupe selon son ressac le champ alors qu’elle l’arrête comme elle avait
empêché pendant plus de quarante ans, son grand père de rentrer.
Alors Pang-Chuan explique sa trouvaille de la photographie dans un carton oublié
et poussiéreux sur une étagère de la maison de son enfance parmi du courrier et
les journaux intimes de son grand père. La première photographie de sa famille,
matrice de ce film ; « captivée » pour prouver la réussite de son grand-père à sa
peopre mère et jamais envoyée. Celle d’un jeune homme à la coiffure élaborée –
en accord avec ses dépenses depuis son premier salaire chez le coiffeur, tenant à la
main, des papiers roulés – le contrat de travail – sur des rails avec, en profondeur du
champ, l’usine de charbon et le regard adressé à ceux pour lesquels l’image fut prise.
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