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Cinéma Le Cratère Projections
Julieta Maria, Salting the Earth / Salar la tierra
4min55 | Canada, GIV
Salar la tierra porte l’ambiguïté de l’action
des hommes : améliorer leur vie ou détruire
leur terre à jamais. Le sel porte cette double
valeur dont des expressions gardent la trace :
« être le sel de la terre » ou « saler le terre ».
La première est parole de l’Évangile selon Saint
Matthieu, rapportant, au chapitre V, la parabole
où Jésus compare ses disciples au sel de la terre,
en leur donnant la mission d’améliorer la vie
des hommes mais elle porte aussi la menace
de la perte : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi
la lui rendra-t-on ? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les
hommes. »
Le plan fixe et unique incluant la petite église blanche à fronton simple de l’Amérique
du Sud justifie le rappel… d’autant que le sel était des plus indispensables dans
le temps d’avant l’électricité face au manque de moyens autres de conservation
voire moyen d’échange, il a donné le nom au « salaire ». El Salado/le Lieu Salé, la
petite ville de Bolivar en Colombie, le lieu filmé tient peut-être son nom d’une telle
exploitation.
Le titre refuse cette heureuse version de même que l’Histoire. « Saler la terre »
aurait été le moyen de rétorsion irréversible des Romains lors de leur victoire sur
Carthage dans la Troisième Guerre Punique, ils auraient non seulement détruit
la ville – tous les latinistes se souviennent du Cartago delenda est comme modèle
grammatical – mais auraient déversé suffisamment de sel pour que rien n’y poussât
plus à jamais – légende inventée au ve siècle puisque outre le coût exorbitant de
cette abominable pratique, elle ne correspond en rien aux méthodes romaines
d’éradication. En revanche, El Salado a subi ce que les régions d’Amérique du Sud
endurent : puisqu’en 2000, des paramilitaires ont massacré plus de cent personnes,
les villageois ayant été séquestrés dans l’église. El Salado alors abandonnée par les
survivants, retrouve peu à peu des habitants qui eux, rapportent le sel de leur terre.
La poétique du vide et de l’imperceptible tente cette réanimation de la vie/lle.
Sans tonitruance, laissée aux assassins, une trace d’humain se glisse dans le champ
à réinvestir. Fantomale, une silhouette dont l’inframince dit qu’elle est femme, aux
cheveux fournis noirs, en robe noire aux genoux et bras nus, surgit là, elle arpente
le lieu en toutes directions et disparaît. Ses cheminements sont multiples, latéraux,
en diagonales, de droite à gauche et inverse, de la profondeur du champ au centre
et plus proche du premier plan mais de dos, parvenant à l’humble église. Des bruits
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