Installation | Guadeloupe | 2021 |
Les baigneuses
Le Temps est une notion scientifique, philosophique et sociale complexe et relative. Dans une lettre datée du 21 mars 1955, Albert Einstein – qui récuse l’hypothèse d’un écoulement du temps et inscrit la réalité au sein d’un espace-temps immobile, affirme : « Pour nous, physiciens dans l’âme, la distinction entre passé, présent et futur ne garde que la valeur d’une illusion, si tenace soit-elle. »
Les baigneuses s’empare de cette non-linéarité. Méthodiquement, les deux sœurs abolissent les frontières entre passé, présent, futur. Entre récit fantasmé et mémoire manipulée, le duo d’artistes dissèque le passé avant de le dissoudre dans le lit de la rivière et de lui faire image en territoire entropique.
Les baigneuses se fait conte voire mythologie familiale. Naviguer dans les eaux troubles de la mémoire, c’est supporter le poids des souvenirs. D’abord saisies de catalepsie dans le courant, les baigneuses s’en affranchissent, s’y meuvent. Lentement, elles luttent pour se déplacer, sans se faire happer ni perdre pied. Et les voilà, qui rampent, pour remonter le courant de leur histoire. Les bruits se confondent entre battements de cœur et moteur d’hélicoptère, est-ce une traque ou un sauvetage ? Rien ne le discerne et ne distingue davantage l’émotion sur leur visage alors même que l’angoisse est latente et que s’y présume le point de rupture, qui, pourtant, n’arrive pas, ce qui participe à la perte de repères.
Pudeur, secret et amnésie sont autant de raisons d’interrompre le récit, ici en film, construit, de matière et d’images. Pauses, ralentis et retours en arrière rythment cette boucle inquiétante, faite de temps et d’espace, réelle incursion dans l’intimité du duo, dont ne s’entend, ni ne se comprend le sourd appel à l’aide. Perdues dans la froideur du cours d’eau et piégées dans l’antre du souvenir, Les baigneuses sont prises à jamais dans cet espace-temps disloqué.