Vidéo | 6:57 | France
Le long titre signe une équation énergétique menée en cette vidéo expérimentale qui fait se toucher des corps étrangers dans un espace qui n’attendait pas ce désordre. Elle emprunte la cuisine d’un film de fiction, une musique d’inspiration espagnole composée par un musicien français du début du XXe siècle, Ravel, et se déclare liée au concept philosophique nietzschéen.
De la physique annoncée à la déconstruction de l’image référentielle – un couple danse puis fait l’amour – par l’envolée du flicker, sur Le Boléro. L’intermédialité rayonne, non vainement en exercice mais parce qu’elle excite tous les sens et la polysémie d’«histoire». Cela implique des cheminements dans les savoirs pour saisir cette perspicacité-vidéo.
Des corps dansent, s’échauffent, réveillant l’image de la première machine, l’éolipyle d’Héron d’Alexandrie – du 1er siècle de notre ère – reconstituée en 1978. Sa vapeur s’échappe par des tubes et créant un couple de forces, fait tourner la sphère avec une trop grande perte de chaleur pour devenir opérationnelle. Cette machine métaphorise
que deux forces reliées produisent du mouvement, comme les deux presque-amants le font en dansant. En effet, puisque le poème numérique à l’amour de Ritter se place sous le signe de la physique, l’envie d’aller revoir ce qu’il en est de ce principe de la thermodynamique s’imposait ainsi que revisiter et Carnot et sa définition de la
« puissance motrice » ce que désormais on appellerait « travail », induisant un état : l’énergie… Qu’on se souvienne, la chaleur est produite par le mouvement des corps macroscopiques – le frottement des mains suffit à vous en faire prendre conscience – or sa poursuite réclame que la différence de température entre une partie chaude et une partie froide soit maintenue. Ce principe n’explique pas pourquoi l’énergie thermique se transfère du corps chaud au corps froid et non l’inverse, sans quoi vous ne vous seriez jamais brûlé/e en vous saisissant d’une casserole sur le feu.
Cependant cette énergie concernant un système complètement isolé de l’extérieur reste constante, ce qui entraîna la recherche jusqu’à ce deuxième principe qui établit l’irréversibilité des phénomènes physiques et théorisa l’entropie ; puisqu’un système ne peut spontanément qu’aller vers un état de « désordre » croissant lors d’une transformation réelle, ainsi du matériau filmique ici à/en l’œuvre et de la perturbation non seulement des corps mais du matériau du film. On peut citer la conclusion de Kelvin, « il n’existe pas de moteur fonctionnant de manière cyclique à partir d’une seule source de chaleur. »
Et revenir au Boléro et à la danse dans la cuisine de Sur la Route de Madison qui, retenue par Charles Ritter, s’échauffe elle-aussi jusqu’à la suffocation finale. Quant à ce film originel, de et avec Clint Eastwood, il ne s’achève pas sur cet abandon amoureux puisque la femme éprise sacrifie cet amour que ses enfants ne découvrent qu’à sa mort ; elle abandonne le désordre. En effet, elle avoue, avec ses dernières volontés que durant l’absence de son mari et de ses enfants partis à une foire, dans sa région, le comté de Madison, elle a vécu un amour aussi intense qu’imprévu avec un photographe en « mission » pour le National Geographic.
Le Deuxième Principe de la Thermodynamique appliqué au mythe de l’Éternel retour garde le lieu si loin de ceux consacrés à l’idylle : la cuisine américaine des années 1960, qui ne manque de rien, ameublement en formica, boîtes de conserve colorées et post-it sur le réfrigérateur dodu : l’équilibre prêt à la distorsion. La femme accepte de se tourner, à l’invitation de l’homme, sans parole aucune ; elle s’est visiblement préparée pour lui, chignon soigné et robe blanche ample, mais sans se l’avouer, puisque ses chaussures plates à lanières ne se prêtent pas à la séduction. Debout, très vite approchés en plan rapproché poitrine, très vite se rapprochant, si nettement que même le bout de sa langue à elle se perçoit dans leur baiser. Du frottement naît la chaleur. Le gros plan ne cache rien de leur émotion partagée…Montée équivalente de la chaleur… Fondu au noir, la chambre, un tout autre mouvement, l’énergie porte…
Reste à prouver l’entropie, la montée du désordre, ce que dès la première image, Le Boléro exalte. Sa structure répétitive y participe, puisque le thème d’ouverture s’enflamme, en même temps que s’ajoutent d’autres instruments, en variante des timbres, et en un crescendo qui emporte jusqu’à la modulation finale, avec des percussions qui défont l’espace premier celui du calme, du sans travail.
La vidéo adopte cette montée : le thème, 1min40 nécessaire à la « connaissance amoureuse », est bousculé par des sautes qui deviennent sursauts, des rayures qui se multiplient, dont une en arc de cercle moins agressive mais très explicite… des pointes de lumière perturbent de plus en plus la lisibilité, alors que le flicker apporte au « désordre », à la perte d’information. Ensuite des flashes blancs, silences iconiques par excellence, augurent de divers teintages, d’abord distinguables jaune puis vert – analogiques aux divers timbres – puis en flicker quasiment mêlés, vert, rouge, vert… les instruments se mêlent selon le thème… lorsque l’amour se fait, tous les sens sont en œuvre, y compris lorsque cet amour est celui de la vidéo. Qui certes ne peut être qu’un éternel retour.