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                            Medhi FARAJPOUR

                                             Au Centre Culturel Bellegarde

                                                                 Haïku

                            Sur l'écran l'ombre est la preuve noir sur blanc : l'arbre est un homme qui est un animal qui est
                 un arbre qui est un homme qui est un animal et donc un homme qui est un arbre ou un animal. Étape par
                 étape, le performer en fait la démonstration sur le grand tableau blanc.
                 Pour cela le dispositif le plus simple, le plus connu suffit : un écran, mais plutôt une vaste baie vitrée tra-
                 versée par une lumière d'aurore + un homme, mais plutôt un corps puisqu' il s'agit de ne pas se laisser dis-
                 traire par des histoires de sexe + un projecteur au ras du sol, mais plutôt la lumière éblouissante d'un soleil
                 levant. En quelques endroits du corps, à la taille et sur les doigts, des branches sèches sont fixées à l'ai-
                 de de ruban adhésif.
                 Dans le noir, l’extrême économie du dispositif autorise, en même temps, son efficacité et son immé-
                 diat effacement.
                 Le corps se plie et se tord, s'écarte et se rassemble. Tantôt ses branches surgissent à différentes hauteurs
                 en un jaillissement de veines solidifiées, tantôt elles disparaissent complètement pour laisser la place à un
                 corps supplicié, comprimé, estropié... d'un coup reprenant forme, ses bois aussitôt dégagés, en haut de
                 l'écran ceux d'un grand cerf aux aguets, au bas ceux dressés d'un capricorne en chasse.
                 Arrêt sur image. Corps replié, genoux et épaules écrasés sur le sol, cou tordu, tête tournée sur le côté,
                 branches cassées par ce rapide ramassement, éparpillement de brindilles. Sur l'écran, le tronc décharné
                 d'un arbre arraché, le temps de reprendre respiration.
                 Autre arrêt sur image. Corps penché très en avant, tête disparue, ni bras ni main, rien d'autre qu'une
                 épaisse tache d'encre. Puis des branches peu à peu repoussent. Sur la feuille penchée à droite et à gauche,
                 l'encre fait d'abord de larges coulures dont s'échappent doucement d'autres de plus en plus fines. C'est
                 le schéma des veines d'un très ancien manuscrit médical. Aucun bruit, rien ne bouge le temps de remon-
                 ter jusqu'à maintenant.
                 Le corps ne danse plus, les contours de son ombre sont lisses et nets mais ses gestes dans la nuit rete-
                 nus, inquiets, empêchés. La forme est dénaturée, elle n'est plus ni animale ni végétale mais traces d'un
                 rite ancestral inscrites en négatif sur les murs sombres d'une grotte ou d'un temple. Restes, inscrits grâce
                 à un feu, de cérémonies nécessairement éphémères comme le sont les performances.

                                                                                             Louis-Michel de Vaulchier

Performances - Processus                                                                                                          85
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