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                               Selima Karoui

                                                 Au Musée des Abattoirs

                                                            La chaise vide

                             Il y a quelques années, Selima était encore une jeune fille. Doctorante. Révoltée et combattante.
                 Cela n’a pas changé. Si, Selima est à présent docteur, mais pour le reste… Révoltée et combattante,
                 encore et toujours, plus que jamais, pourrait-on dire, après le tourbillon des événements qui ont abouti
                 à la situation actuelle, dans son pays, la Tunisie, une situation on ne dira pas apaisée, mais certainement
                 plus « éclairée », pleine de la virtualité attirante d’une installation prochaine de la démocratie. Le combat,
                 pour l’heure, paraît porter ses fruits. La révoltée, la combattante pourrait donc un instant poser sa voix,
                 poser sa caméra, reposer la silhouette essoufflée de son corps de jeune femme désormais que l’on croit
                 voir courir sur les murs anonymes des rues de la ville.

                 Non, non bien sûr. Il n’en n’est pas
                 question. Moins que jamais il peut
                 en être question. L’ombre de la
                 silhouette demeure dressée, sur
                 le qui-vive, comme l’on dit, la camé-
                 ra continue à tourner, la voix à se
                 faire entendre. Selima est de la
                 race des veilleurs, des infatigables,
                 des indispensables veilleurs. Pour
                 Traverse, cette année le processus
                 en cours en Tunisie lui a inspiré
                 deux performances.
                 D’abord une installation. Simpliste. Une chaise vide placée au pied de l’écran. L’écran s’anime : on vision-
                 ne une vidéo faite de morceaux d’interviews d’elle-même. Voix in. Cette voix, au fil des images, impose
                 sa vibration, retentit plus fort. Voix off. Selima est dans la cabine de projection. Elle est là, on la sent là,
                 derrière nous, et elle dit, par bribes, un texte improvisé, inachevé, parfois chaotique, âpre, insistant. La voix
                 nous tombe dessus et résonne en nous, faisant de chacun la peau d’un tambour bousculé, « agressé ».
                 Les images cependant défilent. Nous sommes dans une automobile qui semble suivre une voie d’eau. Le
                 canal de la Goulette ? Les hangars d’entreprises multiples, de grands réservoirs de carburant ou de gaz,
                 quelques mouettes en zigzag au coin du pare-brise. Cependant la conductrice raconte, raconte son com-
                 bat, la violence installée, les intimidations… La brutalité partout, la mort peut-être, l’enfermement.
                 Autres images de la jeune femme, cheveux plus longs, mine défaite, pli amer à la bouche. Chez elle ?
                 Pas tranquille.

                                                                                  Et derrière nous, sa deuxième voix présente
                                                                                  qui relaie, se superpose, scande la voix enre-
                                                                                  gistrée du film. On regarde les images mais
                                                                                  c’est cette voix-là, derrière nous, surtout que
                                                                                  l’on entend. Laissons-la dire un moment :
                                                                                  «immédiatement après la révolution/ sixième
                                                                                  califat/ vu les intégristes vouloir nous imposer
                                                                                  leur projet sociétal avec la bénédiction du pou-
                                                                                  voir…» Plus loin : « reprendre les choses en
                                                                                  mains/ sauver ce pays/ le plan présenté / vers
                 lequel toutes les forces politiques convergent / Pour / faut qu’elle cesse de tergiverser / faut qu’elle termi-
                 ne sa vraie mission/ sous l’égide de spécialistes/ loi électorale/ puis les élections / c’est tout/ se limiter à
                 ça…» Un semi-remorque passe. Derrière les roseaux, une cheminée « sommes devant une organisation
                 qui, pour rester au pouvoir, est prête à semer la terreur et le chaos / ne faut reculer devant aucune
                 possibilité

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