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VIDÉOS ET FILMS D’ICI ET D’AILLEURS

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                                                                                On n’est pas là, on ne s’y retrouve pas, non pas per-
                                                                  du, suspendu. Alerte, prêt à bondir, le danger est hors de portée,
                                                                  aucun signal ne se perçoit. Aller vers la lumière pour s’exposer à
                                                                  plus de risques. Un inquiet tremblement devant affronter l’horizon,
                                                                  gardant les yeux grands ouverts. Prévoir voire présager l’abîme.
                                                                  Le stade ultérieur sans adhésion au temps présent. Dove era che
                                                                  non ero / Où il était, je n’étais pas est une vision, par antithèse,
                                                                  de la fracture douloureuse et insurmontable entre la nature et la
                                                                  connaissance. En une atmosphère de suspense et de mystère,
                                                                  d’attente et de silences, mais aussi de sensualité, d’adulation et
           d’un érotisme impalpable mais indéniable, Salvatore Insana raconte le franchissement des «Colonnes d’Hercule»
           par une jeune fille; cette nouvelle Ulysse attirée par la Roche, suit un parcours initiatique.
                         L’orchestration des images et des sons suffisamment minutieuse pour devenir évanescente et évoca-
           trice, porte la parfaite représentation de la tension de la science à outrepasser ses limites, vers ce qu’elle ne sait
           pas encore exprimer ni reconnaître, mais dont elle pressent l’existence et l’attrait irrésistible. La création dévore la
           connaissance incapable de lever le voile occultant les principes qui régissent l’univers naturel insondable. Si au pre-
           mier degré, le travail d’Insana offre une lecture de ce type, un flux ouvertement rebelle et non conventionnel parcourt
           le sous-texte de Dove era che non ero, par lequel la montée progressive jusqu’au sommet se lit aussi comme la libé-
           ration sexuelle progressive de la jeune femme. Chaque composante de la scénographie - la photographie onirique,
           les fréquentes contre-plongées de l’inaccessible sommet, l’accompagnement sonore - converge vers la création
           d’un imaginaire oppressant et anxiogène, dominé par un nuraghe * et transformé par Insana en un lieu inviolable et
           ambigu, en conflit constant avec une réalité humaine qui intolérante ne supporte ni les anomalies, ni les divergences.
                         Insana réussit son essai de représentation de l’indicible, faisant de son travail le meilleur exemple de
           description de l’insaisissable, qui signale la frontière entre la rationalité et l’ésotérisme, entre le rêve et la réalité.
           Œuvre visionnaire à l’esthétique surréaliste, où la perte inexplicable de l’équilibre de la protagoniste doit se lire
           comme le signe de l’égarement de l’être humain face à l’immensité de l’univers.
                                                  Ivan D’ALBERTO, du catalogue de l’exposition Space-Time Lapse, Spazio Inangolo, 2014
                                                  Traduction : Simone Dompeyre

                                                                    * tour ronde en forme de cône tronqué que l’on trouve principalement en Sardaigne.

                                                                 Adla ISANOVIC, Images within us, 4min 20, BOS

                                                                               Une masse de vidéos, des reportages, les médias en
                                                                 général sont censés documenter ce qu’a subi Sarajevo pendant
                                                                 son siège. Les images des rues, des places, des ponts, le mar-
                                                                 ché comme celles des habitants constituent un fonds que l’on juge
                                                                 connu tant il a été diffusé pour une représentation arrêtée de la
                                                                 guerre. À travers le monde, les télévisions donnaient la possibilité
                                                                 de la visionner encore et encore à tel point que l’on pensait savoir.

                                                                               Adla Isanovic prend le contre-pied de ce semblant de
           connaissance, elle efface toutes les scènes urbaines ainsi que la précision du contexte privilégiant les humains. Un
           autre lieu se crée en éliminant les endroits du réel. Le corps détouré s’extrait du magma du fonds vidéographique, il
           existe par ses mouvements, son implication ne concerne que lui. Il est parce que Adla Isanovic réussit à lui rendre
           son droit d’être en tant que lui et non plus comme victime, rescapé voire comme unité de listes comptabilisant les
           pertes. La leçon est belle, plastiquement parce qu’elle compose hors des contraintes du genre, par la couleur à
           laquelle est reconnue sa force de forme, paradoxalement par le flou qui laisse au filmé sa liberté d’identité et humai-
           nement parce qu’elle oblige à se poser des questions sur notre façon d’accepter des comptes rendus de faits graves
           et cruels et de s’en satisfaire sans réellement nous engager pour que cela cesse.

                                                                                          Simone DOMPEYRE

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