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VIDÉOS ET FILMS D’ICI ET D’AILLEURS
Jared KATSIANE, Big willow / Le grand saule, 10min 29, USA 31
« Mon grand frère est depuis longtemps l’ami d’un saule, au-
jourd’hui, devant les travaux de voirie et de construction, il a vraiment eu peur
que l’arbre ne leur survive pas. »
La vidéo affectueuse de la sœur cadette suit l’affection pour un
arbre, d’un adolescent, peu bavard en compagnie et le plus souvent très seul.
Un grand et bel arbre à la large frondaison. Dès qu’il le peut, il se rend auprès
de lui et en fait des croquis, le dessine, le dessine, ou simplement reste là, et poussé par l’inquiétude fait d’un banc,
son lit et s’y endort. Ce ne pourrait être que le signe d’une complicité sororale, mais dans la plus grande des simpli-
cités, elle fait vidéo de genre comme on dit peinture de genre et portrait à la fois. Elle fait un portrait en acte de son
frère et un en creux, d’elle-même filmant. L’adolescent est épris de la beauté de son arbre à tel point qu’il le visite
constamment, jour après jour; en fait son occupation vitale jusqu’à former un couple qui ne déparerait pas dans les
mythes antiques si ce n’est que les travaux menaçants sont bien réels, contemporains et qu’ils réveillent la nécessité
d’une politique plus écologiste pour que l’homme vive en harmonie avec lui-même. Elle, en tant que jeune réalisatrice
le filme jour après jour, elle regarde avec attention ce monde, pleine de foi pour ce qu’elle peut construire, et d’abord
son image liée à sa famille, portée par cette confiance en l’image filmée.
Simone DOMPEYRE
David KINSELLA, The Temptress, 35min, NOR
« Dans notre époque de crise économique mondiale, se multi-
plient chômage, inquiétudes, et émigration en quête d’un autre monde, pour
une nouvelle vie meilleure. Dans notre monde occidental, nous sommes
conditionnés, programmés à croire à une vie de “bonheur sans fin”, ce qui
peut s’avérer très loin de la réalité.(..) Cependant la vie n’est pas meilleure,
nous avons changé, nous avons perdu notre chemin sans pouvoir retourner
dans notre passé. Le côté obscur de la réalité doit recevoir l’attention qu’il
mérite, il y a pas de blanc sans noir, pas de bonheur sans tristesse.» David Kinsella. Pour entraîner à penser cette
condition humaine partagée, David Kinsella a choisi le conte, comme récit simple avec une exposition simple, une
action claire et un dénouement qui devrait exposer une leçon morale, et dont les personnages n’agissent quecomme
les représentants d’un groupe social précis, ce que leurs attributs dénotent. Ainsi Ajang et Achol sont l’homme et
la femme les plus beaux du monde et ils devraient s’aimer pour le meilleur pour tous et pour leur village respectif,
dans la contrée de Dinka au Sud du Soudan. Lui résiste d’abord, elle la femme est une cruelle tentatrice ne pouvant
résister à dévorer son amant alors qu’elle se transforme en lionne… obligée par la pression du groupe social à le
ressusciter - elle est aussi magicienne - elle lui accorde la plus grande des vélocités. Cela pourrait rappeler certaines
étapes de la théorie jungienne de la formation du soi de la dépossession du moi - persona, par la perte de son
masque - rôle social, pour se restructurer à un niveau supérieur de complexité, en passant par la reconnaissance
de l’ombre en soi. Alang est heureux, fier, lié à l’image que son peuple lui a « collée ». Il accepte, après réticences,
la rencontre avec l’ombre - soit le désir d’Achol, différente. Achol, elle ne peut résister à sa violence interne… parce
qu’elle n’a pas dépassé l’étape de la potentialité éblouissante, source de pouvoir, puis elle en revient. Ce serait en
sous-sol la force d’archétypes, où s’accumule l’énergie vitale qui régiraient l’humain.
Cependant David Kinsella ne dissimule pas des leçons de psychologie, il s’en tient à cette part de
potentialité au mal que nous devons apprendre à régir, il réagit à l’idée simpliste du bon sauvage rousseauiste; il ne
se cantonne pas davantage à raconter des contes cruels pour effrayer même s’il fait mine d’intégrer le conteur sans
lequel aucun conte africain ne serait, mais il complique subtilement la donne. Sa conteuse est une jeune femme afri-
caine se déplaçant dans les écoles… de la lointaine Norvège où elle a immigré… ainsi il implique le rêve de bonheur
d’une nouvelle vie en Occident qui pousse loin du pays d’origine. Il ramène à notre contemporain. L’animation est
en osmose avec un tel projet, dans sa malléabilité originelle, elle se plaît absolument à une telle transmutation, non
seulement pour la métamorphose de la femme en sauvage lionne, celle des formes en flammes virulentes; celle de
l’homme en coureur si rapide - ce que lui a donné sa résurrection. David y implique la deuxième trame de son projet
en emmêlant des prises de vue analogiques : celles des guerriers danseurs, des hommes et des femmes près des
huttes typiques mais aussi le trajet de la jeune femme de son travail à l’école où elle conte. Elle, devenue la tentatrice
d’écoute des récits provocateurs de réflexion alors que The Temptress, le film garde, lié à son pouvoir d’enchante-
ment, celui d’effrayer par la cruauté en acte et la « tératomorphose » Simone DOMPEYRE
CINÉMA EXPÉRIMENTAL -ART VIDÉO- MONOBANDES
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