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VIDÉOS ET FILMS D’ICI ET D’AILLEURS
Florent MENG, Notes sur H2, 22min, FR
Que celui qui pense en H2 voir la suite
du remake d’Halloween de Rob Zombie, tel manga du
même titre ou quelque figure de jeu vidéo, s’effraie :
Notes sur H2 emprunte à de toutes autres sources et
en assume la filiation dans son générique de fin… que
celui-là se risque cependant à prendre vue sur ce film,
il en comprendra le teneur et l’intelligent tressage. H2
est le nom d’un district, il couvre environ 20% du terri-
toire municipal de la ville de Hébron, en Cisjordanie, à
la suite du Protocole de même nom. Israël y maintient une présence militaire ainsi que le contrôle de divers aspects
de la vie quotidienne. Si le propos de Notes sur H2 est politique, l’écriture préfère la métaphore au constat plat d’un
reportage. Les Notes ne sont pas celles d’une avant-réalisation, mais elles deviennent synonymes d’essai concer-
nant tout autant le politique que l’écriture-cinéma.
Deux montres au poignet de métal enserrent le premier moment, en guise de nom de marque, l’une
inscrit Marco, l’autre Polo, elles placent le film sous l’égide du découvreur vénitien du XIIIème siècle. Le temps
qu’elles donnent bouscule la durée en un début à 11h moins 25 et une arrivée à 4h30, ce n’est pas l’étalon de la
logique quotidienne qui importe et les périodes s’y croisent pour un temps anhistorique susceptible d’entraîner la
réflexion sur notre actualité.
La description d’une ville abandonnée, assortie de la réflexion « je suis une légende », en reconnais-
sance sans ambiguïté au roman et au film de science - fiction, éponymes, s’accorde aux fragments de Le Monde,
la chair et le diable / The World, The Flesh and the Devil, film d’après-apocalypse américain réalisé par Ranald Mac-
Dougall en 1959 : Un homme court dans New York, jonchée d’objets abandonnés, il tient un appareil de détection de
radioactivité; minuscule dans le plan d’ensemble en plongée, il est la solitude cherchant l’autre.
Le leitmotiv des moments de sa quête d’autres survivants entraîne la lecture plurielle de la prise de vue, actuelle et
en couleur, d’une seconde ville, du Moyen Orient, inondée de chaleur, de lumière et d’une même solitude. Des portes
fermées répondent aux portes barricadées décrites, une étroite cabane vide se fait l’écho image des « guérites de
gardes désertées »… pourtant le lieu de H2 se précise; des lambeaux de tissu flottent sur des barbelés rectangu-
laires de fer, les maisons sont de pierres blanches, les fenêtres murées sont en plein cintre et décorées des festons
de pierre arabes, des enseignes usent de l’écriture en arabesque de ces mêmes contrées et alors que se prépare la
rencontre, tel portail moins abîmé porte la peinture de deux femmes voilées, et des drapeaux israéliens se multiplient
jusqu’à flotter sur tous les lampadaires d’une avenue.
Ainsi lorsque, longuement, le plan reste sur l’ombre portée d’un drapeau alors que le commentaire
associé concerne des familles ayant dû tout quitter, la liaison se fait sans mal, même si le texte conduit à la descrip-
tion de Navajos emmitouflés dans de vieilles couvertures. Ce montage en contrepoint devance le récit d’hommes
enfonçant les mauvaises paroles dans la terre, qui blessée par leur horreur, s’en vengent en les libérant. Il devance
le cimetière de tombes arabes. Dans Notes sur H2, la parole est sans voix dite. Par ailleurs, son intertextualité invite
à ouvrir d’autres champs et à lire une variation des paroles gelées rabelaisiennes, retenues d’abord dans les nuages
et retombant en tintamarre sur Pantagruel et ses compagnons en bateau car c’étaient les bruits de guerre.
Le sous-titre, ou plutôt le texte constant, revendique le refus de l’enregistrement oral jusqu’à écrire ainsi le dialogue
du deuxième moment vers lequel tend le film. Tous les travellings à travers la ville, souvent en ruines, où les seuls
êtres vivants sont des chiens, où la seule silhouette est celle d’un épouvantail, les panoramiques qui font le tour des
places sont avides de cette présence-là, de ce propos-là.
Rester, sans peur : cette parole, le montage vertical la relie à un vieil homme fatigué, fabricant de
cercueils qui s’entassent, occultés par des tissus; cet homme en bleu de travail taché ne veut pas quitter son lieu,
n’ayant nulle part où aller, ne craignant pas « la mort que Dieu réserve à tous et qui est éternelle » selon ce qu’il croit.
Que le cercueil qu’il découvre porte une croix de bois comme le second, exposé sans linge, un crucifix, importe
peu…son attitude est digne, sans éclats ni lamentations. Il est celui qui demeure. Il appartient à la classe des
hommes qui résistent et le dialogue, s’il peut lui être rapporté, reprend, pourtant celui enregistré par Werner Herzog.
En effet, août 1976, un homme refusa d’évacuer la zone menacée par l’éruption imminente de la Soufrière, en Gua-
deloupe. Cela provoqua chez le cinéaste le désir de le rencontrer, de connaître ses motivations, son état d’esprit et
il en réalisa La Soufrière.
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