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Vidéo Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 38
replacer dans la théorie de Cage mais qui, pour tous, devient musique contemporaine par la reprise
sérielle de ces mots alors que les images se refètent sur le non-sol luisant. Après fondu au noir et disparition,
une autre partition affective/ironique concerne le philosophe français : près d’un tombeau identique, une stèle
écran de projection diffuse un fragment de l’Abécédaire de Deleuze. Désacralisé. La vidéo saccade le geste,
répète le mot avant de rendre inaudible la parole, les lèvres se mouvant à vide.
Sous le déplacement, reste le projet de dire ses maîtres avec la recherche de sa propre écriture. Simone D.
Nils LACROIX, Les Elucubrations d’un Soldat Inconnu, 8 : 50 min.,
Fr., ENSAD Paris
Malgré le titre, la vidéo n’ausculte pas la pensée délirante du « soldat
inconnu », appellation qui renvoie au mémorial national sous l’Arc de
Triomphe de Paris et à la famme allumée depuis 1923. Elle garde le
ton vif et irrévérencieux du soldat chargé de l’entretien de cette tombe,
devenu historien pour comprendre, puisqu’elle suit la voix. Celui-ci
explique comment frustré d’être relégué à cette tâche, il se prend d’une
passion de recherche pour identifer le soldat synecdoque de tous les
autres tués durant la Première Guerre Mondiale. « Elucubrations » connote la fantaisie en tous sens avec
laquelle il invente des biographies diverses, parfois iconoclastes, savoureuses et toujours pleines d’humanité.
Le dessin se prête à sa quête, énoncée à la première personne, qui le transforme en chercheur au sens
propre du terme, en Histoire…
Le prologue, en une suite de dessins blancs sur fond noir, volontairement plats et schématiques jusqu’à
inclure le fonctionnement du percuteur de l’arme meurtrière, condense en moins d’une minute l’assassinat
de Ferdinand d’Autriche et ses conséquences. Les millions de morts se résument en une chute de soldats
de plomb à peine ébauchés. Lors de la désignation comme « soldat inconnu » du sixième cercueil sur
huit, grâce à un œillet déposé par un soldat de deuxième classe, lui parfaitement identifé, l’animation
se lance avec le mouvement du bras pour déposer la feur.
Brièveté encore et rapide hachuré pour le descriptif de la fonction du soldat avec gros plan de la famme,
plan d’ensemble du site avec touristes rapides et transparents avant que ne s’ébranlent les « élucubrations ».
La vidéo suit les étapes de ces divagations : les premières obéissent à l’imagerie du héros bon teint, trop
chargé de médailles ; puis autant de saynètes s‘amusent de morts incongrues hors du champ dit d’honneur :
le cardiaque - au cœur apparent extrêmement précis - meurt durant une partie de cartes ; le cuisinier chute
sur son couteau et le déserteur se tue avec l’arme censée le blesser seulement… Se succèdent les soldats
interchangeables que la voix essaie de dénommer par des prénoms d’alors : Ernest, Alphonse et autre
Séraphin… La clarté répond à l’engouement pour la recherche même si le dessin ne retient que des
fragments comme la main fouillant les dossiers.
Guerre et présent de la recherche se distinguent par l’inversion ; le dessin revient au passé en tracé
blanc pour les soldats et les tirs sur fond noir et au présent, en fond blanc dessin noir. Le trait se fait
plus incisif quasi caricatural quand il croque le père, haut gradé, coupant sa viande et ressassant
ses exploits de guerre. Plus actif comme sautant, il élargit le champ jusqu’à décrire le jeune homme
faisant le point face au mur annoté de mots, où il a épinglé et relié de fls, cartes postales et dessins,
et mots de recherche. Il distingue en forme précise, fnie, le corps des soldats éventuels « inconnu » des
défagrations, en formes irrégulières de dimensions diverses ; il métaphorise le choc, la peur, la douleur.
La poétique du trait ne se défait pas de précision. Nils Lacroix a opté pour la rotoscopie, grâce à laquelle
se redessine image par image une action flmée en prises de vue réelles. Il accorde une réalité forte
aux hommes dont il a retrouvé la trace et leur rend une identité, un métier, une origine, un mouvement
- 3. L’isdaT -