Page 43 - catalogue_2016
P. 43
Vidéo Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 43
Jonas SCHLOESING, Je ne suis personne, 5 : 55 min., Fr., ENSAD Paris
Qui aime les livres reconnaît la trace de Pessoa, qui dès lors, est encore plus
attiré par le flm, apprécie cet écho d’une vie qui, ne sut/put distinguer son
réel et son écho en écriture en accord avec son nom qui se traduit en
français par « personne », après le latin : persona/masque, celui que
portait l’acteur jouant un personnage. Pessoa ne se détacha jamais des
strates de ce nom et inventa le concept d’hétéronymie, pour thématiser
des individualités créées par lui, participant autant que lui à son œuvre.
Ainsi Soares donné comme « l’auteur » du Livre de l’intranquillité - seulement publié posthume - écrit
comme un journal intime, l’accompagna jusqu’à sa mort. Le flm vibre de l’hommage et de fdélité, en
son écriture du fragment, de la page blanche que des touches de machine à écrire d’alors scandent, en
rythme adouci pour la déambulation d’un homme doublé d’une silhouette, en tracés mouvants pour
les hésitations à être, les repentirs de l’écrit. Il prouve sa lignée en retenant titre, exergue et texte qu’il
fait prononcer en off, en deux langues - l’originelle, le portugais et la traduction. Il en garde l’esprit de
déréliction, en une métaphore puisqu’il débute sur une eau sans remous ni limite où glissent la voix
et des sons aigus mais sans volume, avant le passage par le refet des lunettes topiques de Pessoa/
Soares, en aide-comptable. Chiffres et lettres, réalias du bureau ne sont que contours, voire « sans
consistance », fragments comme le corps de l’homme lui-même, scandés par le bruit de frappe sur la
machine ou du tampon.
Dans la rue, l’hétéronyme gagne un corps et un accompagnement musical, toujours de fûtes mais plus
calme, et des gestes plus coulants quand il lit le journal et remplit son verre dans son café-refuge
mais le double et l’obscur suivent sa consommation de boisson. Les champs sonore et visuel se zèbrent,
rayures et perturbations de la mélodie métaphorisent le mal-être creusé plus encore par l’alcoolisme et,
ne reste plus que l’écriture à nouveau dans sa chambre. L’animation parce qu’elle est libérée de son
contact au référentiel, provoque la rencontre du style du fragment, de l’aigu de la diffculté d’être avec
ses rémissions, ses accalmies que le tracé sait faire. Simone D.
Barbara SCHRÖDER, Or du temps, 13 : 30 min., Fr.
Un temple culturel contemporain en verre dialogue avec un temple
romain, dédié aux princes de la jeunesse, qui lui fait face.
2000 ans les séparent, un clignement de cil.
Au dedans, à peine perceptible, l’espace-temps glisse et l’œil trouble
l’esprit, à moins que ce soit le contraire.
Il y a mille façons d’habiter l’espace et de se laisser traverser par lui.
Or du temps propose une déambulation dans un lieu unique, dont la découverte horizontale augure
un décollage vertical, au propre et au fguré.
Transparences, glissements et refets questionnent la profondeur et l’épaisseur de la matière, aiguisant
les sens. Diffcile de trouver plus sérieux que le jeu, celui qui nous divertit d’abord, qui nous enlève de
nos dimensions habituelles, celui qui nous trouble, nous permet d’être autre et de nous contempler
en perspective d’oiseau, de voyager de vie en vie, de prendre de la hauteur donc.
Lâcher prise, repousser les horizons et percevoir en même temps les traces devant et derrière nous,
perdre joyeusement du temps sachant qu’on ne peut en gagner, tel est l’en-jeu initiatique.
Savoirs et convictions tendent à s’évanouir progressivement au proft de cette métaphysique expérimentale
à la portée de tous, de la présence pure, de l’être au monde comme une simple respiration.
Le temps quitte alors sa linéarité et l’éternité salue l’instant de grâce.
- 3. L’isdaT -