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Vidéo Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 48
se perd et hommes et femmes ne reçoivent ni dans leur salon ni dans le haras, ni dans le studio de
danse ou la salle de sports, ils répondent à une direction d’acteur des plus pensées. Aucun n’est dénommé
ailleurs que dans le générique généraliste… Les costumes incongrus parfois quoique personnels peut-être,
comme le costume rose du boxeur ou l’imperméable à bavolet avec cagoule de laine du baryton, ne
leur assignent ni identité ni raison sociale : pour preuve par l’absurde, tel blouson en fourrure de castor
passe de la danseuse de Flamenco au boxeur. Plus nettement encore, les vêtements ne répondent pas
précisément au lieu ni à l’activité : le chœur fnal du Luci care de Mozart porte vêtements chauds ou
de pluie très éloignés de l’usage campagnard alors qu’il chante sur fond de forêt en bord de prairie ;
plus encore, le costume relève aussi de la plus furieuse fantaisie : collant intégral rouge pour manier
un bâton rouge et blanc, combinaison verte sous manteau et toque de fourrure noire pour jouer de la
cornemuse accoudé à un arbre.
Le flm est la possibilité pour toutes ces « altérités en puissance » de se réaliser : ainsi sans espagnolade,
une jeune femme au risque du chavirement de la barque, scande un Flamenco en blouson et jupe étroite :
sa danse est sans faute, la main sait se tourner, le talon talonner, le corps se vriller : elle est happée par sa
danse qui ainsi flmée happe le spectateur. Ainsi celui qui chante l’Ave Maria dit de Caccini, étrangement
restreint à l’invocation du titre, le formule-t-il auprès d’un cheval roux qui tend littéralement l’oreille avant
de se frotter doucement à son visage qui ne frémit pas. Le chant, la voix imprègnent les lieux tout autant
que le brouillard calme attaqué lors d’un de ses retours par les aboiements rauques d’une meute de
chiens qui, eux, jamais ne bénéfcient du champ à l’inverse des chevaux mélomanes. Au-delà de son
emploi sur l’eau plus ou moins canonique, la barque du titre revient doublée par le texte inspiré de La
Barque le Soir, énoncé en off. Ce poème en prose norvégien de Tarjei Vesaas distille une distanciation
affectueuse sur le monde et il distille le la du mode d’emploi de ce poème vidéographique : « Ne pas
comprendre, mais être à proximité de ce qui se passe » / « il se passe quelque chose d’invisible et pour
cela il n’y a pas de nom ». Cette leçon de retour à une appréhension de l’art sans projet d’écrasement
rationnel - ce qui certes, devrait retenir ce texte-ci mais le paradoxe n’est-il pas une couleur de la Barque
silencieuse ? - est rendue diffcile à suivre car la voix, celle de James Duncan, l’un des Monfanquinois selon
le générique, garde l’accent de son origine écossaise. On en saisit certains moments parce qu’emblé-
matiques de l’esprit du flm ; un grand calme serein jouxtant une inquiétude possible aussitôt enlevée
par le chant.
« Peur ? Non. Un peu effrayé mais gai » glisse encore la voix, même s’il s’agit plus de gêne devant le
comportement de celui-là, homme petit, tournoyant en faisant mine de taper un homme grand, mains
liées par de la corde sans raison apparente et sans arrêt de son chant puisqu’imperturbable il… chante.
De gêne devant la fgure en lune de l’homme à la barque, le gardien du lieu, celui qui écoute car si
le flm est d’amour de la musique, amour reconnu des habitants du lieu, si instruments y compris
tourne-disques y sont indispensables, c’est que l’Ecoute est primordiale. Ecoute sensorielle, écoute
affectueuse, écoute comme reconnaissance de la voix de l’autre et cela efface toutes les gênes pour
le plaisir de participer à cet unisson. Simone D.
- 4. Le Musée des Abattoirs -