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Vidéo Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 59

le feuve. Occupations ordinaires à chaque fois biaisées : la cuillère censée tourner un aliment au fond
d’un seau en racle le fond rouillé ; le déshabillage devient strip-tease sage avec abandon en boule des
vêtements ; la nouvelle chemise est rangée dans le tiroir à couverts de la cuisine : la prendre entraîne un jeu
de déplacement glissé sur la table ; emprunter les escaliers consiste à frôler les murs ou se pencher sur
la rampe pour l’une alors que l’autre se contorsionne pour glisser sous l’espace que le corps ménage ;
se déplacer en extérieur reprend la même gesticulation contre le mur de la maison en fragile équilibre,
avec le fer du béton armé dépassant de ses parois. Les mouvements des mains, des bras sont ceux de la
grammaire chorégraphique actuelle mais ils échappent à une danse arrêtée… les sons sont ceux en gros
plan sonore des objets touchés, mus et d’emblée de la balançoire ; nulle musique n’entraîne de fctiona-
lisation, y compris lorsque enfoncées dans l’eau, se tenant par la taille, tête penchée sur l’épaule de
l’autre, visage maculée de boue, elles arrêtent leur déambulation. Le montage lui-même déjoue les
champs-contre-champs d’autant plus prégnants qu’ils sont rares : les deux femmes lancent un même
regard vers le lointain où elles scrutent deux jeunes femmes entrant dans le feuve profond : les mêmes
qu’elles ; les deux femmes avaient déjà dans la maison, levé la tête vers les bruits de pas au-dessus d’une trappe
d’aération, ceux occasionnés par deux femmes y marchant : les mêmes qu’elles. Le gros plan cerne tel
élément du corps ou objet ou cette porte sans raison d’être mais en une répétition de touches bleues :
pieds nus au vernis de ce bleu clair, seau et bol, chemise claire, sous plat, châle… items retrouvés lors
de leur passage vers l’eau. Le changement d’échelle des plans ne participe pas à une narration : bottes
noires après pieds nus, jupe étroite après robe plus large, rochers après carrelage… adviennent en eux et
pour eux selon le lieu et le moment si ce n’est qu’elles vont vers la mer sans autre préparation. Territoire
façonne ainsi son lieu poétique, celui de l’invention d’une vidéo en danse minimaliste, lieu de la féminité
sans code imposé. Hors de la logique quotidienne, s’y glissent des signes de la vie partagée avec les
autres, des rapports noués avec l’autre, de l’attirance et du recul quant à l’autre… du possible abandon de
soi et de la retrouvaille toujours possible de soi à soi et avec l’autre. Simone D.

Gérard CAIRASCHI, Immagine, 9 : 20 min., Fr.
Immagine le double « m » d’image en italien, le lé d’une gravure
de Dürer : Adam et Eve et le serpent et la musique américaine
de Tony Conrad pourraient induire à penser à un reniement des
fondamentaux de Gérard Cairaschi si Conrad n’était lui-même
expérimental y compris en flms comme Flicker - titre métony-
mique de la démarche de Gérard Cairaschi y compris dans ce
flm - si cette musique dite « drone » en privilégiant la reprise des sons maintenus, les longues plages ici
de tambour avec de rares variations harmoniques ne provoquait pas un effet hypnotique tout autant que
les élans vocaux qu’affectionne l’œuvre de Cairaschi. L’entrelacement de la nature - arbre et mer - avec
le visage et les mains s’y consent en un noir et blanc plus inattendu mais écho de la gravure matrice,
jusqu’à ce que s’accélérant, il emporte vers la couleur d’un vert brillant d’où se détache LA pomme lui-
sante. Les fots en houle circonscrivent tumultueusement un rocher ; le tronc d’arbre noueux et tordu
mime les méandres du serpent… sans jamais succomber à la facile analogie. De la tentation, la main
imite le geste ou varie sa position en écho à divers postures codées de l’iconographie religieuse ou
en approches amoureuses : elle se lève, orante, doigt levé, elle se penche pour saisir en Pieta le bras
de l’autre, elle se courbe en coquille retenue par l’autre, elle s’approche pour enfermer l’autre ou le
visage en enlacement. La jeune flle à la beauté assurée darde en tentatrice, un regard adressé, un si léger
sourire se dessinant et la position de son visage se faisant plus frontale… pas de crainte d’un péché,
d’un manquement, le visage est enjôleur, le ficker est ravissant au double sens du terme. Simone D.
- 5. Cinéma UGC / Goethe Institut -
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