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Cinéma Le Cratère  Projections

disparaître les « motifs » que sont ces personnages que nous voyons et qui vivent
leur fiction sans nous prêter attention. Parfois ils sont en retrait du fond, détourés
comme posés là par un écrivain qui n’aurait pas terminé de créer le décor ou serait
volontairement resté vague dans sa description. Nous sommes invités dans cet
univers comme des rêveurs lucides, entrés par effraction dans le songe d’un autre.
Comme Orphée invité dans le film de Cocteau à passer de l’autre côté du miroir.
Les scènes ne se succèdent pas selon une temporalité linéaire mais suivent une
chronologie plus émotionnelle, comme dans le rêve ou l’avant et l’après peuvent être
interchangeables. L’érotisme palpable des scènes transpose dans un univers où les
mœurs semblent différentes, plus libres, plus libertines. Les femmes mais surtout les
hommes se séduisent, se caressent, se donnent l’un à l’autre avec plaisir mais se
tuent aussi comme dans une hallucination où la « petite mort » mène à la véritable.
Cette atmosphère homoérotique qui fait parfaitement écho à ce texte halluciné est un
assemblage, une mise en couple, par le film, de deux grands : William S. Burroughs
et Pier Paolo Pasolini qui se font écho ici si parfaitement qu’on croirait à un projet
commun.

Et quelle est cette musique étrange ?
Comme une vibration allant crescendo,
s’approchant de nous mais n’arrivant
pas à nous atteindre ou à aboutir
complètement, une trajectoire condamnée
à se répéter, à retenter un passage. Et puis
des instruments… seraient-ce des flûtes ?
Brièvement nous nous accrochons à une
mélodie mais ce n’est qu’un passage là encore. Les cordes donnent un timbre oriental
mais aussi parfois une consonance datée plutôt d’une période psychédélique, ce que
l’acidulé des images confirme. Mais là encore le son s’échappe, revient à la flûte, à
la corde frottée, à la corde frappée, puis encore cette vibration tendue vers nous,
comme un rappel, une envie de surgir, de se révéler.

Les mots que nous lisons entre guillemets sont adressés à l’auteur qui, par habitude,
est aussi celui qui provoque les images puisque que c’est d’un film qu’il s’agit. Nous
côtoyons donc des livres « palpables comme une brume de miasmes de couleurs
nocives ». La description donne le ton. Mais « des hologrammes ont été transférés
dans la matière même des pages ». Ce que nous voyons/lisons comporte donc
plusieurs entrées, un relief mis-à-plat cependant fait d’une superposition simple :
mots-images-sons. Chaque élément est assez distant l’un de l’autre pour que nous
puissions y divaguer avec pas mal de marge de manœuvre. On nous parle d’un virus

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