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Projections Cinéma Le Cratère
celle de Heian – malgré son nom qui se traduit par la paix1 de 794-1185 ;
le contemporain s’y invite par la « musique de notre temps » et l’intrusion du butō,
danse souvent expliquée par une réaction à Hiroshima, alors qu’elle réagit, dans les
années 1960, aux perturbations sociopolitiques du Japon.
Butō rassemble les deux idéogrammes bu/danser et tō, taper au sol, très loin de la
solennité du nō et Alain Escalle subjugue par le suivi des corps de cette « danse du
corps obscur », proche de la performance, en groupe ou pas, dont la gestuelle et la
mimique évoquent l’absurdité et la violence d’un monde, dans le lent mouvement du
corps, dans le minimalisme de sa gestuelle et de la quasi nudité d’un corps peint en
blanc, au crâne rasé inversion du luxe des kimonos de cour et des uniformes des
soldats.
La vidéo réitère l’analogie meurtrière des âges. Dans la foule nombreuse, des échos
forts des films japonais diffusés au Musée du mémorial de la Paix à Hiroshima,
rassemblent les époques de barbarie mais les êtres restent distingués dans la
profondeur du champ.
Avant la furie de la bataille dernière des
samouraïs avec le tumulte sonore et visuel
de cavaliers en 3D, une cavale blanche
dressant ses jambes, un plan d’ensemble
mêle les corps contemporains à ceux
d’un guerrier du passé comme à ceux
des danseurs ; ce corps retrouve en fin
les décombres d’après la bombe.
Alain Escalle imprègne son film de l’esprit de beauté. Il a glané les marqueurs nippons :
il ne se trompe pas dans le kimono que porte la jeune musicienne, en soie rouge avec
comme motif de bon augure, les fleurs de prunier stylisées, à très longue traîne, à très
longues manches au revers vert, avec plusieurs couches, sur le furisode blanc.
Elle est retenue jouant du koto – le monogatori décrit des concerts de musique et le
plaisir qu’ils procurent ; la vidéo varie les angles zénithaux pour découvrir cette longue
cithare couchée à treize cordes et s’en approcher pour saisir le jeu… la musicienne
esquisse un geste apparenté au butō, lorsqu’une fourmi avance sur son doigt, fourmi
qui remplace les idéogrammes du livre posé au sol, dont les pages se tournaient
auparavant d’elles-mêmes à côté de l’instrument, en signes heureux de culture
vivante… à Hiroshima, les insectes surgirent par milliers… la vidéo les fait ramper
1 L’époque de Heian est considérée comme l’apogée de la cour impériale japonaise et reconnue pour le
développement des arts, principalement la poésie et la littérature avec le Dit du Genji de Murasaki Shikibu,
l’un des premiers romans en japonais et la description des manières de vie de la cour impériale de Kyōto
par Sei Shōnagon, dans le Makura no sōshi/Notes de chevet.
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