Page 116 - Catalogue_Traverse Vidéo_2018
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Projections Cinéma Le Cratère
à sa propre fin.
Alain Escalle ne fait pas leçon, il ne terrifie pas mais réveille en tissant des signes.
Les motifs opposés surgissent au détour d’un raccord : en accalmie, des souvenirs
d’estampes avec le bestiaire japonisant de la grue et les montagnes peintes ;
inversement, des rappels des images de la catastrophe – que Resnais, lui, cite
littéralement lors de la visite du musée de Hiroshima mon amour – les cheveux
s’arrachent à pleines mains, les visages se fissurent comme le sol, les oiseaux blancs
de la paix absorbés par le maelström sont devenus les oiseaux noirs charognards : le
gros voire le très gros plan leur est accordé. Le soleil s’est perdu, il reste seul dans le
noir final qui achève cette traversée. Le 8 août une lumière vive envahit le ciel. Depuis
une beauté térébrante le dit en poésie audiovisuelle.
Simone Dompeyre
Lisa Robert, Too Sad To
9min02 | France
Too Sad To se réclame des Hurlements en faveur
de Sade de Guy Debord, qui provoqua tant de
tumultes et bagarres lors de sa première, en juin
1952 – pourtant au ciné-club d’avant-garde
du Musée de l’Homme à Paris – qu’il ne put
être vu en son entier qu’en octobre de la même
année. Ce premier film de Debord énonce des
phrases du Code Civil ou des phrases de romans, en diverses voix off, sur des plans
blancs aniconiques, alternés avec des plans noirs silencieux dont la durée totale de
40 minutes double celle des moments avec paroles avant un dernier long noir de
24 minutes…
Too Sad To adopte l’aniconique mais reste sans paroles. Il emprunte des plans
figuratifs dont n’est laissée qu’une couleur métonymique de ce qu’ils trament et de
leur atmosphère alors que le rythme du montage originel est retenu. Originel mais
sans que se sache cette origine. De la bande avec arrangement musical en crescendo
et phrasé répétitif, subsistent des sons avec intervalle de silence. Ils font narration :
bruits de freins, des pas ou reptation, des frôlements, est-ce de la respiration si faible ;
ce sont des pleurs, des sanglots portés aussi par la musique revenue.
Son titre s’accomplit doublement, car le film ne prononce pas de paroles, pas
d’explications, on ne nous relate pas, mais il remémore I’m Too Sad to Tell You de
Bas Jan Ader. Ce 16 mm, de 1971, en noir et blanc, plan fixe, une prise retient durant
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