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Projections  isdaT

Sophie Pariente/soX et Élisa Juszczak, ADDIKTAT

4min40 | France

                              En un lieu improbable, en bout de voie SNCF – la gare
                              de Wassy selon le générique  – entre un hangar et un
                              wagon sur rails, un corps féminin nu que sculpte une
                              jeune femme, réagit, se révolte, accepte quand les coups
                              deviennent caresses sur les cheveux. Sans mots, dans la
                              fréquente superposition du corps nu, au premier plan
                              couvrant en transparence l’ensemble ou coloré dans les
                              changements de teintes voire le teintage rouge, se joue
                              une version féminine/féministe de Pygmalion et/ou de la
                              création de l’homme.
                              Pygmalion, misogyne méprisant les femmes qu’il ne
                              considère que comme des prostituées, refuse d’en épouser
                              une jusqu’à ce qu’il devienne amoureux de Galatée, la
                              statue d’ivoire blanc qu’il a sculptée et qui s’anime grâce
                              à Aphrodite, la déesse de l’amour émue de sa peine… La
                              sculptrice de ADDIKTAT est femme ainsi l’amour serait-il
                              saphique alors que la femme couchée au sol sur laquelle
elle tente d’ajouter des éléments est en corps réel. Cependant son comportement se
lit en allégorie de tentative de prise de pouvoir sur l’autre, ce que connote le titre,
soumission contre laquelle l’autre se refuse.
Le corps au sol, reçoit des mottes de glaise  ; la main qui s’emploie à cette
transformation, tente de former des couches alors que le corps s’anime… sous la
musique répétitive de Reich, les accords syncopés en ostinato de guitare scandent
leurs gestes… le contrepoint variant quand debout après avoir elle-même agi voire
participé à sa propre forme – le rouge s’empare de l’espace – la jeune éveillée se
laisse caresser. L’acceptation serait soumission à la force première… la leçon serait
que l’amour a toujours une part de désir d’assujettissement… Ou faut-il lire une
nouvelle version de la création de l’homme par la glaise façonnée par un Dieu ;
ainsi de la Bible, ainsi du mythe grec de Prométhée, qui lui, chargé par Jupiter de
composer les hommes fut, lui-même, condamné pour avoir glissé le feu dans l’eau et
la terre, son matériau, ou encore de Sumer où Enki le créa en argile. La création est,
de mains de femme, à Sumer où L’Épopée de Gilgamesh, attribue aussi ce façonnage à
Aruru, déesse, qui travailla « de ses mains humides ».
L’explicit découvrant de petits monticules d’argile, des fragments de formes seraient
la gangue laissée au sol de la femme, femme libérée parce qu’elle a résisté. Cette
rencontre de mythèmes provoque au-delà de l’écho de la création, le rappel de
la menace constante de la contrainte et de l’aliénation/addiction s’entend dans
ADDIKTAT.

46 Simone Dompeyre
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